« Il dit qu'un homme de sa connaissance avait mis toute la Bible en vaudevilles qu'on appela guéridons, et il en sait quelques vers qu'il a bien la mine d'avoir faits. » M. Monmerqué commente ainsi les lignes qui précèdent : « Il existe des facéties du temps de la régence de Marie de Médicis qui ont pu faire donner à ces vaudevilles le nom de guéridons. L'éditeur en possède deux. La première est intitulée : les folastres et joyeuses amours de Gueridon et jours après, il est contraint d'aller en Suède, voyage Robinette. Paris, 1614, in-8°. La seconde a pour titre : qui ternit tellement sa réputation que « chacun sçait jour de janvier 1614 au Louvre. Paris, 1614, in-8°. Ce ballet Il semble bien que le nom propre de Guéridon, qui figure dans ces facéties représentées devant Marie de Médicis, est d'origine italienne, comme ceux de Scaramouche, Arlequin, etc., et son rapprochement avec le nom très-pastoral de Robinette pourrait inciter à voir en lui une forme corrompue de Corydon. Je livre cette conjecture à l'examen de notre tribunal philologique, et vous prie d'agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération la plus distinguée. Joseph DEPOIN, Président du Cercle sténographique de l'Ile-de-France. Si Guéridon venait de Corydon, celui-ci ne pourrait guère s'appliquer qu'au berger dont parle Virgile dans sa 2o églogue. Or, je ne crois pas que le nom de cet amoureux-là ait jamais eu quelque chance d'être donné à celui de Robinette. Guéridon naquit à Marseille « en Provence. » De santé trop délicate pour supporter le voisinage de la mer, et d'ailleurs à l'âge où l'on commence à sentir le besoin d'aimer, il vint en France pour s'instruire de nos « humeurs,» voir Paris et apprendre les nouvelles de la Cour. l'amener à l'hôtel où Guéridon l'attend avec la plus Guéridon était un esprit faible; Robinette s'en aperçoit Sur son chemin, à Roanne, il rencontre un personnage qui offre de lui faire connaître Madame Robinette, << une fille aisnée de noble race, doüee de toute sorte de perfections, fille usante et jouissante de ses droicts, qui entend mieux à faire ployer une lame qu'à la rompre, qui n'aspire en ce monde que son plaisir. >> Guéridon accepte; le mercure part, et quinze jours après, il annonce qu'il a pressenti Robinette et qu'il croit à un prochain succès pour ses démarches. Mais Guéridon ne peut vivre plus longtemps loin de celle qui occupe déjà toutes ses pensées; il prend la poste pendant la nuit et arrive à Orléans dans un hôtel où, par hasard, il retrouve Belle-fleur, son messager. A souper, on parle de Robinette, qui vient justement d'envoyer à Belle-fleur une lettre pour Guéridon. Celuici, tout joyeux, écrit une réponse passionnée. Quant à Guélindon, c'était une seconde forme de Guéridon obtenue par une permutation de lettres, forme qu'on employait assez volontiers pour l'autre (elle se trouve à tous les endroits du Ballet des Argonautes, où il s'agit de Guéridon), mais qui ne peut rien apprendre sur l'origine cherchée. Du reste, cette origine explique parfaitement les significations diverses que nous trouvons à ce mot: les infortunes de Guéridon furent chansonnées « par tout le royaume,» et probablement sur un certain air; les chansons analogues à celles où il s'agissait de lui s'appelèrent des guéridons; quand Marie de Médicis introduisit les ballets en France, on appela aussi Guéridon le personnage qui, portant un flambeau et placé au milieu d'une ronde, était condamné à voir les autres s'embrasser sans prendre part à leur divertissement; de là, ce nom passa aux candélabres qui se trouvent dans les escaliers des palais; et enfin, on appela gué L'opuscule intitulé les folastres et joyeuses amours ridon une petite table à un pied destinée d'abord à de Gueridon et Robinette relate ce qui suit : porter une lumière, et plus tard, des porcelaines, etc. Si je ne m'abuse une seconde fois, l'étymologie du mot guéridon serait donc enfin trouvée, et ce serait grâce à la communication que M. Joseph Depoin a bien voulu m'adresser. Belle-fleur, dont le zèle a été encouragé par un don de cent pistoles, rencontre Robinette près de la porte de la Pucelle; il lui offre le bras et parvient sans efforts à Enfin Guéridon meurt après avoir été aussi mal récompensé que possible de son affection pour Robinette. Histoire ou légende, ce récit me semble donner la véritable origine de Guéridon, qui aurait été, non pas l'auteur, comme l'a dit M. Francisque Michel, cité par M. Kastner (Courrier de Vaugelas, 6° année, p. 121), mais bien l'objet des vaudevilles qui coururent sous ce nom, ce que tendent à prouver ces paroles de Guelindon s'adressant au Roi, dans le Ballet des Argonautes : Grand Roy de qui la gloire avec l'aage s'accroist, III. Le 13 avril, j'ai reçu la lettre suivante, laquelle a trait à l'orthographe d'un participe passé : Monsieur, Dans votre numéro du 15 mars dernier, en répondant à celui de vos lecteurs qui s'était désigné comme « petit-fils d'une fileuse,» vous avez terminé votre réponse par une critique grammaticale au sujet de laquelle je vous demande la permission de prendre la défense de ce correspondant. Cette critique me paraît, en effet, subordonner beaucoup trop une règle certaine de grammaire à une question douteuse d'étymologie. Il s'agit, je le rappelle, des expressions se mettre sur son trente-et-un ou se mettre sur son dix-huit, expressions dans lesquelles vous pensez que le trente-et-un ou le dix-huit représente le vêtement qu'on met sur soi en un jour de parure. Je ne prétends nullement contester ce qu'il peut y avoir de vraisemblable dans cette opinion; mais ce qui est certain, c'est que, dans l'état actuel de notre langue, la réunion des deux mots mettre sur n'a pas du tout conservé le sens, que vous lui attribuez, d'un verbe actif comportant après lui un régime direct dépendant de mettre, au lieu d'un régime indirect dépendant de sur (il en serait autrement si l'expression était mettre dessus). Je crois donc que, pour l'application de la grammaire dans la phrase qui a fait l'objet de votre correction, il est légitime, au moins jusqu'à ce que la vraisemblance de votre opinion étymologique ait acquis le caractère d'une vérité bien établie, de se baser sur la forme apparente de cette phrase et que la grand'maman fileuse, qui sans doute ne se préoccupait pas d'étymologie, mais qui avait bien appris sa règle des participes, était parfaitement dans son droit quand elle demandait à Marie-Jeanne en l'honneur de quoi elle s'était mise sur son dix-huit. Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de ma considération très-distinguée. Un de vos lecteurs. Dans mon numéro 22 de la 6o année, j'ai dit, p. 170, que le participe de cette phrase: Tu es belle aujourd'hui, Marie-Jeanne; d'où vient que tu t'es mise sur ton dix-huit? devait être laissé invariable, et cela, parce que, d'après l'explication que j'avais donnée précédemment, p. 145, cette phrase signifiait : « D'où vient que tu as mis à toi sur (ta personne) ton dix-huit. »> L'auteur de la communication qu'on vient de lire estime que, jusqu'à ce que la vraisemblance de mon opinion étymologique ait acquis le caractère d'une vérité bien établie », on doit continuer, pour écrire la phrase en question, de se baser « sur la forme apparente >> de cette phrase. Mais il n'est pas absolument nécessaire, pour conclure à l'invariabilité de mis, de s'appuyer sur l'étymologie de la phrase qui renferme ce participe; car sachant seulement que se mettre sur son dix-huit signifie se vêtir de son plus bel habit; que le verbe mettre est actif, et que le se qui l'accompagne désigne une personne, il est impossible de voir le régime direct dans un autre mot que dix-huit, et partant de faire varier le participe: la phrase a beau sembler dire que c'est la personne qui se place sur le dix-huit, la raison combat si fortement cette apparence qu'elle doit, à mon avis, en annuler les conséquences orthographiques. Pour ne point trop offenser l'œil (car je conviens qu'il est un peu choqué ici), je crois qu'il serait bon que se mettre sur son dix-huit et son homonyme se mettre sur son trente-et-un reçussent une correction ou plutôt une restauration. En effet, au lieu de sur, pourquoi n'y écrirait-on pas sus, ainsi qu'on a prononcé autrefois et que la plupart prononcent encore? De cette manière, la construction de la phrase en question aurait de l'analogie avec celle de courir sus à quelqu'un, le sens amphibologique disparaîtrait, et l'invariabilité du participe irait pour ainsi dire d'elle-même. X Première Question. L'œil étant une partie du corps très-sensible, je ne comprends pas qu'on ait pu faire l'expression S'EN BATTRE L'OEIL pour signifier s'en moquer. Voudriez-vous bien m'expliquer cette expression? Voici l'opinion de Quitard à ce sujet : Se battre l'œil, c'est proprement se frapper l'œil avec la paupière qu'on abaisse et qu'on relève alternativement, ce qui se fait en signe de dérision et de mépris de là cette expression employée figurément pour dire qu'on se moque d'une chose. Mais je ne puis admettre cette explication, la paupière qui s'abaisse el se relève non-seulement ne frappant pas l'œil, mais encore ne lui faisant pas la moindre offense. En voici une autre qui m'a été adressée de Beauvais le 29 août 1875: Je m'en bats l'œil signifie je me moque de cela et des conséquences, je n'en prendrai pas de souci. Il est impossible de mettre cette phrase au pluriel d'une manière supportable, et même d'en donner une explication satisfaisante, tirée de la signification des mots qui la composent; mais en faisant subir à la prononciation une légère modification qui en amène une très-grande dans la forme écrite et disant je m'en baloie, on obtient une formule sensée qui s'applique parfaitement à l'idée qu'on veut exprimer, le vieux verbe se baloyer signifiant se réjouir, passer le temps en gaîté et sans soucis. On dit encore vulgairement, dans un sens analogue : je m'en bale. Se baloyer est évidemment augmentatif de se baler. : Je ne goûte pas plus cette seconde explication que la première, car si baloyer a jamais existé (je ne l'ai rencontré ni dans Roquefort, ni dans Du Cange, ni dans Cotgrave), il ne pouvait faire entendre le même son que bats l'œil, quelle qu'ait été d'ailleurs la prononciation de la diphthongue oi à l'époque où il était en usage. Nous avons une expression identique par le sens à celle dont il est question ici, c'est s'en battre les fesses, expression signalée comme telle dans le Dictionnaire de Littré, et contenue dans ce passage de Scarron : Mais à ces discours d'ivrognesses. Le roi dit: Je m'en bats les fesses. (Virg. Trav., VII, p. 257.) Cum faitement li manderons nuvelles? (Chanson de Rolland, p. 142.) Si voirement com nous bien le creons. (Ronc., p. 48.) Comme leur oserions nous oster l'heritage de vie? (Calvin, Instit. III, 359.) Car suyvre faut la reigle et la loy de Christ, Comme il l'a baillée par escrit. (Marot, I, 272.) Mais la langue latine avait aussi la conjonction quum (écrite souvent cum), laquelle nous donna comme dans le sens de lorsque, et cela, justement sous les mêmes formes que comme dérivé de quomodo : Cum il le vit, à ferir le desiret. (Chans. de Roland, p, 126.) Cum il entrerent en la cambre voltice, Par bele amur soef salut i firent. (Idem, p. 227.) Cume David out un poi aled avant el munt, Siba, le serjant Miphiboseth, vint encuntre lui. (Rois, p. 177.) Ledit duc, comme il veit les portes fermées, fist saillir les gens de sa chambre. (Commines, II, 7.) D'un emploi peut-être moins fréquent d'abord, comme (dérivé de cum) devint d'un usage plus général, et a fini depuis par rester le synonyme de lorsque, Voilà pourquoi, dans notre langue, comme a en même temps le sens de cette conjonction et celui de de quelle manière la corruption des deux mots quomodo et cum a produit une forme unique à laquelle est restée attachée. la signification de chacun d'eux. M. Littré donne à entendre (étymol. de comme) que c'est seulement au xvIe siècle que ce mot a été assimilé à la conjonction latine quum. En présence des derniers exemples que je viens de citer, je ne puis être du même avis que le célèbre académicien. X Troisième Question. J'ai cherché souvent quelle pouvait être l'origine de cette expression, MARIAGE MORGANATIQUE, et à quelle époque elle avait été employée pour la première fois. Il m'a été impossible de trouver une solution. Vous me feriez grand plaisir si vous pouviez m'éclairer à ce sujet. 1 Sans faire appel à la fée Morgane, comme Legoarant; sans invoquer le Morgangeba, don du matin, des Français du v° siècle (Voir Mezeray, Hist. de France, vol. I, p. 69); sans recourir au verbe goth maurgjan, restreindre, comme le fait Aug. Scheler, on peut assez facilement, il me semble, expliquer morganatique. En effet, de quoi se compose cel adjectif? De morgan, qui est en haul-allemand la forme de morgen, matin, et de atique, terminaison venue de aticus qui, d'après De Chevallet (Orig. sec. part. liv. II, p. 319), représente une idée « qui peut se rendre par qui est, ou qui se tient à, ou dans, qui est propre à, qui est destiné à. » De sorte que mariage morganatique signifierait littéralement mariage du matin, expression qui me paraît parfaitement s'adapter à un mariage dont, pour cause de dérogation, la célébration a dû, dans l'origine, avoir lieu plutôt à la faveur de l'ombre matinale qu'à la grande lumière du jour. Quant à l'autre partie de votre question, sans pouvoir y répondre d'une manière précise, je puis cependant vous dire que ce mot ne se trouve à ma connaissance dans aucun dictionnaire français publié avant celui de Napoléon Landais, qui date de 1836. ÉTRANGER COMMUNICATION. Dans une lettre que j'ai reçue d'Amsterdam, le 3 avril 1876, se trouve le passage suivant : A. Dans la sixième année du Courrier de Vaugelas, numéro 9, vous traduisez ouate par vad. Cependant j'ai chez moi trois dictionnaires qui l'écrivent avec un t et un w (double v): wat. Ouate ne reçoit pas d'autre orthographe dans la langue hollandaise ou néerlandaise; son pluriel est walten. B. M. Eman Martin dit dans le même numéro de son estimable journal: « C'est donc une faute que d'écrire le mot oignon sans i dans quelque circonstance que ce soit. » Or, je lis dans le Dictionnaire complet de la langue française par P. Larousse (3o édition, Paris, 1870), p. 432 : « Ognon ou oignon, n. m. Plante potagère à racine bulbeuse, partie renflée de la racine de certaines plantes; ognons de lis, de jacynthe, de tulipe, etc.; callosité aux pieds. En rang d'ognons, loc. adv., sur une seule ligne. » La première de ces remarques est parfaitement juste; je viens de consulter le Dictionnaire de Marin à la Bibliothèque nationale: il écrit aussi wat, watten. J'ai été induit en erreur par M. Littré, qui met, lui, à l'étymologie de ouate : « holl. vad. » Ecrire ognon sans i parce que cette voyelle ne s'y prononce pas, et écrire poignard, poignée, poignant, empoigner, moignon, où elle ne se prononce pas davantage, c'est commettre une inconséquence. Pour être logique, il faut, ou ne mettre i dans aucun de ces mots, ou le mettre dans tous. Nabot vient-il de nabbi? Cela me surprendrait encore; car, indépendamment de la disparition d'un b, assez peu explicable quand nous en avons bien conservé deux dans abbé, venu du latin abbas, il faudrait rendre compte du changement de l'i en o, changement dont je ne connais point d'exemple. Je soupçonne l'anglais knapp d'être le même mot que nabbi comme ayant ainsi que lui le sens de bosse et ses deux b, sous la forme de deux p. La véritable étymologie de nabot ne me semblant pas avoir été trouvée, voici celle que je propose : Dans le vieux français, nabot s'est dit nambot, comme le montre cet exemple du xvre siècle : Nous ne sommes que nambots et avortons eu esgard à la grandeur de ceux du vieil temps. (Bouchet, Serées, II, p. 211 dans Lacurne.), Le patois de Genève dit encore naimbot et naimbote. Or, sachant que le terme bot existe en français, et qu'il est répandu dans les idiomes des peuples qui nous entourent (je l'ai fait voir dans le Courrier de Vaugelas, 6 année, p. 146), j'incline fortement à voir dans nabot un composé de nain et de bot, c'est-à-dire la signification de nain contrefait. Cette étymologie peut d'ailleurs facilement se justifier par le sens : Nain signifie seulement petit relativement à la taille des objets semblables: on dit un peuple nain, un arbre nain, un cheval nain; il est susceptible du qualificatif joli on dit un joli nain, une jolie naine; il n'y a pour ainsi dire point de dérision dans ce mot. Mais il n'en est pas de même de nabot, qui ne s'applique qu'à la race humaine; c'est un terme de mépris, et cette idée-là ne peut s'y trouver que parce qu'il contient l'adjectif bot (contrefait) joint avec na, abrégé de nan, qui est la forme provençale de nain. X Seconde Question. Quel est votre avis sur la prononciation de Tous, seul et dernier mot d'une phrase, comme, par exemple, dans : ILS VIENDRONT TOUS? D'après M. Littré, c'est mal prononcer que de faire sonner l's de tous dans ce cas; mais quand je considère que, dans nos théâtres, même à la Comédie-Française, lorsqu'on rappelle les acteurs qui ont bien joué une pièce, on leur crie généralement tousse! tousse! il me semble bien difficile d'admettre que cette prononciation soit réellement mauvaise. PASSE-TEMPS GRAMMATICAL Phrases à corriger trouvées pour la plupart dans la presse périodique et autres publications contemporaines. 1. Il faut aussi et surtout que l'enseignement dans ces écoles soit autre qu'il est aujourd'hui. 2. Il n'est absurdité si grande qu'elle ne trouvera créance auprès d'eux, il n'est hameçon si énorme qu'on ne leur fera avaler. 3° Le ministre travaillait dans son appartement, et non dans le grand cabinet officiel du bas, où tant d'Excellences se sont succédées. 4° Faut-il ajouter à présent que si l'abdication du roi est dans les faits possibles et même probables d'ici quelques années, nònseulement elle n'est pas vraie, mais pas même vraisemblable dans la situation actuelle. 5 L'autre jour, dans une commune qui ressortit du canton de Douzy (Nièvre), un brave curé montait en chaire pour faire son prône. 6° Plusieurs étudiants ayant voulu pénétrer dans l'établissement quoique non porteurs de cartes d'entrée, se sont vus refuser la porte. 7° Comment, vendu! s'écria don Augustino, indigné et stupéfait. Mais le corps de mon frère n'avait de valeur que pour moi! - Je vais vous dire, gémit l'embaumeur terrifié. 8 Cette latitude laissée aux cléricaux de faire des réunions publiques alors qu'elles sont interdites aux républicains sous un ministère républicain, ne laissera pas que d'impressionner péniblement l'opinion publique à l'étranger comme en France. 9 Averkios repoussa ces insinuations et assura l'abbé qu'il préférait ne pas être nommé archevêque que de l'être par vénalité. 10° Enfin M. Ricard se lève, s'ajuste un tantinet, passe sa large main sur son vaste front, et d'un pas délibéré, décidé, escalade les degrés qui mènent à la tribune. (Les corrections à quinzaine.) FEUILLETON. BIOGRAPHIE DES GRAMMAIRIENS SECONDE MOITIÉ DU XVII SIÈCLE. Gilles MÉNAGE. Il naquit à Angers le 15 août 1613. Ses études, surveillées par son père, avocat du roi au bailliage, firent autant d'honneur aux soins de l'un qu'à la capacité de l'autre. Une mémoire remarquable jointe à une grande avidité de savoir et qui dominait toutes ses autres facultés, semblait l'appeler de préférence aux succès de l'érudition, vers laquelle se portait encore presque exclusivement le génie littéraire; aussi crut-il, en se livrant à l'étude du droit, satisfaire à la fois la volonté paternelle et donner carrière à son goût. Ménage prit la robe d'avocat et fit ses débuts dans sa ville natale. Mais il avait d'autres vues: il s'engagea dans l'état ecclésiastique. Alors il se fit connaître avantageusement dans le monde par les ressources d'une instruction étendue et par l'éclat de ses liaisons avec la plupart des hommes qui avaient un nom dans la littérature. Chapelain le présenta au cardinal de Retz. Ce prélat, qui s'était engoué sur parole du mérite de Ménage, lui donna une place dans sa maison et s'empressa de l'admettre dans sa familiarité. Ayant quitté le cardinal au bout de quelques années, il ne put se déterminer à accepter le patronage du prince de Conti, qui lui offrait une pension de quatre mille francs; il préféra tenir dans sa maison, au Cloitre Notre-Dame, des assemblées littéraires, appelées mercuriales, du jour où l'on se réunissait. Son patrimoine, converti en une rente viagère de 3,000 francs et un revenu de 4,000 qui lui furent assignés sur deux abbayes, lui procurèrent l'aisance si précieuse à l'homme de lettres. Le cardinal Mazarin voulut tenir de sa main la liste des savants qui avaient droit aux récompenses du gouvernement; Ménage reçut une pension de 2,000 francs. Quoiqu'il eût déjà mis le sceau à sa réputation, Ménage n'avait cependant encore publié que ses Origines de la langue françoise, des Remarques sur cette même langue, à l'instar de Vaugelas, et des mélanges assez médiocres de tout point, au nombre desquels figurait sa Requête des Dictionnaires, satire légèrement mordante et écrite dans le style de Scarron, où étaient tournées en plaisanterie les occupations grammaticales de l'Académie. Cette petite pièce fut trouvée ingénieuse dans sa nouveauté; elle fit grand bruit, indisposa contre l'auteur un grand nombre des quarante et les empêcha plus d'une fois de faire tomber. sur lui leurs suffrages. Si Ménage n'obtenait pas pleine justice dans son pays, la faveur des étrangers l'en consolait amplement : l'Académie della Crusca lui envoyait un diplôme d'associé, les savants d'Angleterre, d'Allemagne et des Pays-Bas répétaient ses louanges, et la fameuse reine de Suède, Christine, l'invitait en termes flatteurs à venir grossir sa petite cour littéraire. Quand cette reine, qui avait sacrifié aux lettres l'éclat d'une couronne, vint à Paris, ce fut Ménage qu'elle chargea de lui présenter les personnages distingués de la capitale. Prôné par les auteurs subalternes, Ménage s'accrédita dans l'esprit de ces précieuses qui, avant Molière, donnaient le ton à la société, et s'érigea en autorité imposante. Assez profondément versé dans les langues anciennes, honoré de l'estime du docte Huet, environné d'une véritable importance par ses relations avec les érudits étrangers et par l'amitié des écrivains qui annoncèrent. le siècle de Louis XIV, disposant du fruit de lectures prodigieuses, il possédait de plus la langue italienne et la langue espagnole, et composait même dans la première des vers élégants. Ayant échoué dans une candidature à l'Académie, Ménage se contenta, pour épancher les richesses de sa mémoire, des réunions qu'il avait formées chez lui et des sociétés d'élite où il était accueilli. Ménage avait pensé oublier ses livres auprès de Mme de Sévigné. Il l'avait connue avant son mariage, avait contribué à former l'esprit de cette femme célèbre, et s'était passionné pour des grâces qui n'étaient pas son ouvrage. Son élève l'avait ramené à la raison et l'avait désespéré souvent en le traitant comme un amant sans conséquence. Ménage était d'un caractère irritable. Son ressentiment contre Gilles Boileau fut si violent, qu'après avoir fait tous ses efforts pour l'écarter de l'Académie, il rompit avec Chapelain, qui avait refusé de servir sa haine contre lui. Dans les hostilités qu'il eut à soutenir, Ménage perdit i Ses nombreux ennemis le poursuivirent jusque dans la tombe. Voici ce qu'il y a de plus important ou de plus curieux dans les Observations sur la langue françoise de Ménage (1672), observations qui consistent surtout en apostilles sur les Remarques de Vaugelas, et en articles détachés où sont déduits les motifs de préférence entre un grand nombre de mots dont l'emploi était alors douteux. S'il faut dire acatique ou aquatique. Les Romains prononçaient le q comme un k; ils disaient ki, ke, kod, et non pas qui, que, quod. Nos vieux Français ont suivi cette prononciation, comme on le voit par ces mots cancan, casi, kidan, à kia: il faut prononcer acatique. S'il faut dire extrémement, ou extrémément; certainement, ou certainément; profondement, ou profondé ment. Vaugelas, au chapitre des adverbes en ment, a fort bien décidé qu'il fallait dire communément, expres sément, conformément; mais il s'est trompé en ce qui concerne extrémément : il faut dire extrémement. Il faut dire aussi certainement, et non pas certainément comme disent les Angevins (1672); mais il faut dire au contraire profondément, et non profondement. S'il faut dire Droit canon, ou canonique; les Instituts, les Institutes, ou les Institutions de Justinien. --Quoique depuis dix ou douze ans, MM. de Port-Royal disent droit canonique parce qu'en latin on dit jus canonicum, il faut dire droit canon, comme on l'avait touJours dit auparavant, et comme tout le peuple le dit encore présentement. Dans le discours familier, on ne doit jamais dire les Institutions de Justinien, quoiqu'on dise en latin Institutiones Justiniani; mais on pourrait le dire dans une traduction de l'ouvrage, comme l'a fait M. Pellisson, et comme d'autres l'avaient fait avant lui. Le meilleur pourtant et le plus sûr est de dire toujours Instituts ou Institutes. C'est ainsi que nos anciens ont appelé ce livre, du latin Instituta. Mais entre les deux, Ménage préfère Instituts, qui lui semble plus naturel, Statuts étant venu de Statuta. S'il faut dire plurier ou pluriel. Il ne condamne pas pluriel, mais il lui préfère plurier. S'il faut dire arondelle, hérondelle, ou hirondelle. Vaugelas s'était prononcé pour hérondelle; mais Ménage fait voir que c'est une grosse erreur, que c'est le petit peuple de Paris qui parle ainsi, et qu'avec les meilleurs. auteurs, il faut dire hirondelle. (La suite au prochain numéro.) LE REDACTEUR-GÉRANT: EMAN MARTIN. |