30 Montécuculli appelait la pique << la reine des armes »; Folard et Maurice de Saxe s'en montraient chauds partisans, et Gugy en portait l'engouement jusqu'à proposer de la rendre au premier rang de l'infanterie légère. Or, il m'est impossible de 'croire qu'une arme tenue en si haute estime pendant le xvIIIe siècle ait pu, en 1792, rendre ridicules aux yeux des militaires les citoyens qui la reçurent pour contribuer à défendre la patrie mise en danger. La véritable origine de péquin, terme par lequel tous ceux qui portent l'uniforme désignent aujourd'hui ceux qui ne le portent pas, n'est autre que celle qui m'a été envoyée par M. Philarète Chasles, et qu'indique M. Littré. (Littré, Dictionn.) La même figure a permis de dire un collier pour un cheval de trait, ce dont voici la preuve : Il y a tant de colliers pour le service de cette ferme. (Littré, Dictionn.) Le Normand fermier général fournit de bons chevaux à Crecy, son ami, et ne donna que des colliers et des charrettes à l'autre. (Saint-Simon, 47, 41.) Or, autrefois, collier avait pour synonyme carcan (dérivé de l'ancien haut-allemand querca, ancien scandinave querk, signifiant gorge, cou), mot écrit dans nos vieux auteurs charchant, cherchant, carquant, carquan, comme le montrent ces exemples: D'invention danoise, dit-on, la hallebarde qui, au temps de Philippe-Auguste, s'était appelée, sous des formes plus ou moins bizarres, bec-de-faucon, fauchon, fauchard, guisarme et perluisanne, fut introduite en France par les troupes suisses que Louis XI prit à sa solde. Elle se composait d'une hampe ou manche de deux mètres au plus de long et d'un fer de fórme particulière adapté à une douille placée au bout de la hampe. Ce fer formait au-dessus de la douille, d'un côté, tantôt une hache, tantôt un croissant tranchant à pointes aiguës, et, de l'autre, un dard droit ou crochu; il se continuait dans le prolongement de la hampe en une lame à deux tranchants, large à la base, et se terminant en pointe aiguë. Arme d'estoc et de taille, la hallebarde faisait de si graves blessures, qu'il était expressément défendu de s'en servir dans les duels. Or, ayant à manifester la ferme résolution de se rendre d'un lieu dans un autre malgré les objections que la personne à qui l'on parle peut tirer des menaces du temps, on a trouvé tout naturel de dire : J'irais quand même il pleuvrait, ou tomberait des hallebardes. phrase qui est restée proverbiale et d'un usage fréquent dans la langue familière. X Troisième Question. Quelle est l'étymologie de NONOBSTANT, et dans quels cas peut-on employer ce mot? La préposition dont il est question ici est composée de la négative non et de obstant (vieux verbe obster, empêcher, faire obstacle) participe qui est encore fort en usage dans quelques provinces, après avoir été long-principale. Ainsi celles que voici : temps usité dans la langue française, comme ces exemples en font foi: Depuis, obstant le bel et grant apport des pèlerins, etc. (G. Dubois, dit Crétin, 1527.) Elle ne les rapporte en telle sincérité comme elle les avoit vues, obstant l'imperfection et fragilité des sens corporels. (Rabelais, t. III, p. 81, éd. de 1732.) Enfin, obstant ce qu'il vit que la place n'estoit pas tenable, il print argent et abandonna cette place. (Alain Chartier, Hist. de Charles VII, p. 90.) Au participe présent obstant, on a joint la négative non, ce qui donna la signification de malgré, puisque le sens littéral est ne faisant pas obstacle telle chose : Celui qui est vertueux et beneuré est touzjours droit et bien, non obstant les fortunes. (Oresme, les Ethiques. 24.) Il n'y mena pas tant de gens qu'il eust peu, nonobstant qu'il alla bien accompagné. (Hist. d'Artus III, Connestable.) Vrai est que ces os lui croquoient parfois sous les dents; mais ils passoient non obstant. (Des Perriers, Contes, LXXV.). Puis nonobstant s'est joint à ce pour former une expression signifiant malgré cela (cela ne faisant pas obstacle) : Ce nonobstant estoient jà les besognes si menées... (Froissart, II, II, 200.) Le duc de Toscane garda l'incognito; mais ce nonobstant le roi voulut le distinguer. du subjonctif; le faire précéder ou suivre de son sujet Dans toute phrase commençant par une proposition conditionnelle qui s'annonce par quand même, lors même, si même, on peut supprimer la conjonction avec même; mettre le verbe au conditionnel ou à l'imparfait Quand même les avares auraient tout l'or du monde, ils en demanderaient encore. Lors même que les dames auraient pelotonné leurs A ce point de vue, si même la doctrine du progrès était Les avares auraient-ils tout l'or du monde, qu'ils en (Cité par Girault-Duv.) Les dames auraient pelotonné leurs enfants dans leurs caisses à chapeaux, qu'elles ne manifesteraient pas une plus tendre sollicitude. (Saint-Simon, 54, 152.) Recevez-moy, vostre humble chrestienne, Que comprinse soye entre vos esleuz, Ce non obstant qu'oncques rien ne valuz. (Villon, OEuv, p. 168, Paris, 1832.) Mais aujourd'hui, cette dernière construction a complétement disparu, et il en a été de même de obstant (qui avait donné obstance, terme de droit canonique, difficulté qui empêche le pape de faire droit à une demande); de sorte qu'il ne nous reste plus que nonobs-bien m'expliquer pour quelles raisons le mot en question ne peut entrer dans notre vocabulaire? tant, que nous écrivons en un seul mot, et que nous employons comme synonyme de malgré devant les substantifs et les pronoms. (Wey, les Anglais chez eux, p. 21.) A ce point de vue, la doctrine du progrès fut-elle une illusion, que nous la devrions la bénir. (Eug. Pelletan, le Monde marche, p. 28.) Or, la phrase que vous avez envoyée à mon examen est évidemment la tournure de cette autre, faite sur le modèle des trois premières que j'ai citées : Du reste, quand même elle devrait disparaître de la scène du monde, son action n'en continuerait pas moins, grâce à sa langue, etc. D'où je conclus que la conjonction que mise par M. Reclus après monde est absolument nécessaire, et que sans même, qui se supprime généralement avec quand, lorsque et si, sa phrase serait complètement irréprochable. Cinquième Question. Dans votre numéro du 1er juillet vous dites, corrigeant la phrase 6 du numéro précédent, que « le mot PRUSSIFICATION n'est et ne peut être français. » Dans votre numéro du 1er décembre, vous redites la même chose à l'occasion d'une autre phrase. Voudriez-vous En français, lorsqu'on veut exprimer par un seul mot le sens de rendre, suivi d'un adjectif désignant une nationalité ou un idiome, on emploie des verbes formés de cet adjectif et d'une finale qui est tantôt iser (franciser, germaniser, elc.), et tantôt ifier (russifier), verbes d'où se tirent naturellement des substantifs en ation. Or, le mot Prusse n'étant pas un adjectif, on n'en peut faire le verbe prussifier, et, partant, le substantif prussification ne peut pas exister davantage. Voilà pour quels motifs j'ai remplacé prussification, un vrai barbarisme, par prussianisation, terme parfaitement conforme à la règle. X. Sixième Question. Doit-on dire ON DIRAIT UN HOMME QUI, OU ON DIRAIT D'UN HOMME QUI ? Le DE est peu usité dans cette tournure de phrase; il me paraît une monstruosité. Depuis le xviie siècle jusqu'à notre temps, les meilleurs auteurs ont employé, les uns, on dirait d'un, et les autres, on dirait un. Mais, de ces contructions toutes deux en usage, il y en a une meilleure que l'autre; c'est, je crois, la seconde, qui est mise pour : On dirait [que c'est] un... et qui devient devant un nom pluriel : On dirait [que ce sont] des... Dans la 1re année du Courrier de Vaugelas (numéro 2, page 2), j'ai démontré qu'en effet, c'est bien ainsi que l'on doit s'exprimer, et j'ai expliqué d'où vient, selon moi, l'erreur qui a fait construire de là où il n'a aucune raison d'être. montre une chanson composée en 1829 par Randon du Thil, et dont voici quelques couplets: Le monde est comme un grand bazar développements qu'ici, dans le numéro 19, page 3, de la re année de ce journal. X Troisième Question. D'où vient l'expression de BLACK-BOULÉ, que je trouve employée assez fréquemment dans vos journaux en parlant d'un candidat qui a échoué ? Je ne la trouve dans aucun 'dictionnaire, pas même dans celui de Littré? En anglais, où noir se dit black, et où boule se dit ball, on qualifle, si je ne me trompe, de black-balled un candidat qui, dans un examen, obtient plus de boules noires que de blanches. Or, cette expression a passé assez récemment en français, sans changer de sens; et, de même que les Anglais défigurent le plus souvent les termes qu'ils nous empruntent, de même nous avons défiguré leur black-balled: nous en avons fait black-boulé, composé hybride qui s'est appliqué familièrement, d'abord à quelqu'un qui avait échoué dans un examen, et ensuite, par extension, à tout candidat qui n'avait point réussi dans une élection, soit politique, soit autre. PASSE-TEMPS GRAMMATICAL. Corrections du numéro précédent. 1o.. A cette politique, je ne sais qu'une seule objection; -2... Ce projet a été adopté jusqu'au chapitre relatif à l'administration judiciaire inclusivement (voir Courrier de Vaugelas, 6° année, p. 53); — 3° ... ces pantalonnades d'autre chose que mon mépris; 4° les prodiges les rendaient fiers; 5° je trouvai originale une œuvre ; 6. Si rapproché que soit le sujet; — 7° Comme je montais le perron (on escalade ce que l'on franchit au moyen d'une échelle, scala); 8°... dit-il en ... 9o c'est l'entrée définitive et terminant avec un accent; complétement juridique; 10° cipe toujours invariable); 11° qui se sont succédé (parti ne songe à rien moins qu'à quitter; — 12° ... m'est excessivement désagréable; - 13°... électricité positive, qui as su rassembler ces pierres. - ... Phrases à corriger trouvées pour la plupart dans la presse périodique et autres publications contemporaines. 1• Sa plus grande hauteur du pavė au sommet de la coupole est de 52 mètres. D'énormes piloris contre lesquels sont appliquées 118 colonnes corinthiennes à cannelures, la partagent en trois nefs. 2. Le malheur est que ceux qui tiennent ce langage nous font tout l'air de s'être assurés, à l'avance, de l'agrément du pouvoir. :: 3. On voit alors que c'en est fait de lui acculé à la barrière, haletant, la tête basse, la langue injectée et pendante, il fond par un suprême effort sur le fer qui va le transpercer. 4. Ces étrennes forcées, beaucoup moins innocentes que la question romaine, ne laissent pas que de venir fort mal à propos, et le conflit n'aura pas le succès que ses auteurs en attendent. 5. La nouvelle constitution turque n'est rien autre chose qu'une machine de guerre inventée pour faire avorter les décisions de la Conférence. 6° La Commission du budget s'est donnée trop de peine dans l'épluchage du budget de la guerre pour se laisser corriger comme des écoliers pris en faute. 7. En un mot, et à peu d'exception près, on a autorisé, partout où elle était demandée, l'installation de ces petites boutiques de circonstance: 8 Et puis, il y a une chose que le paysan préfère à son opinion, c'est son intérêt. Or, le préfet est loin, mais le juge de paix, le percepteur, le garde-champêtre sont tout prêts. (Les corrections à quinzaine.) Auteur. Quand on dit tout court c'est un auteur, cela signifie c'est un homme qui n'a pas le sens commun, qui se mêle d'écrire et qui n'y entend rien, qui ne raisonne pas comme les autres hommes, qui ne parle jamais naturellement, qui fait consister son souverain bonheur à mettre un livre au jour. Bailler, Donner. Le premier est du style familier, tandis que l'autre s'emploie dans tous les styles. L'auteur des Mœurs des Bigeare, Bizarre. Israélistes dit bigeare; mais bizarre est meilleur et beaucoup plus usité. Borgne, borgnesse. Il faut dire borgne au féminin, car, par exemple, on ne dit pas une aveuglesse. Bon-homme. Ce mot se dit rarement en bonne part; quand on dit un bon-homme, c'est comme si l'on disait un homme qui n'a pas beaucoup d'esprit. Brin. Le peuple met ce mot partout un brin de feu, un brin de bois, un brin de sel, etc., ce qui est trèsmal parler; mais on dit bien un brin d'herbe. Brisement. Ce mot est nouveau (1689), et s'est introduit dans l'usage; quoiqu'il déplaise au P. Bouhours, toutes les personnes polies s'en servent. Cercle, Assemblée. Ne pas confondre ces deux mots; cercle ne se dit parmi nous que des assemblées des dames. avait à ce t'heure. C'est ainsi que tout le monde parle, excepté ceux qui sont nouvellement venus de province. Chandelle de cire. Mauvaise expression; il faut dire bougie; les provinciaux y manquent souvent. Chenu. Ne se dit plus guère aujourd'hui; mais il peut avoir sa place dans la poésie et dans le burlesque. Chifonner. Dans quelques provinces, dans le Lyonnais surtout, on dit froisser un rabat pour chifonner un rabat. C'est mal parler. Cocq d'Inde, Dinde. 11 n'y a que le vulgaire qui dise un dinde pour dire un cocq d'Inde. Les provinciaux et aussi le petit peuple de Paris sont sujets à cette faute. -- Consommer et Consumer. Le premier marque la perfection, et l'autre la destruction. Un homme consommé dans les sciences; le feu consume tout. Conteste, Contestation. A Lyon et dans les provinces, on dit conteste pour contestation; c'est peu français. Les Lyonnais disent aussi consulte pour consultation, impresse pour impression, ce qui est grossiè rement parler. Sauf correction. Cette manière de parler n'est que du menu peuple, aussi bien que sauf votre respect. Cotterie. Il est plus propre que societé pour exprimer ces cabales qui ne regardent que de petites choses, et qui n'ont pour motif et pour fin que des bagatelles. Courtisan, Courtisane. Le premier signifie un homme de cour; mais le second signifie une femme qui mène à la cour une mauvaise vie. Cris des animaux. L'abeille bourdonne, l'âne brait, le bœuf meugle ou mugit, la brebis bêle, le chat «miole », le cheval hennit; le chien jappe ou abboie; le corbeau et la grenouille croassent; le lapin clapit, le lion rugit, l'ours hurle, le serpent « sifle ». De après les noms de nombre. Il y a des occasions où il faut ajouter de après les noms de nombre; par exemple, il y en eust cent tuez n'est pas correct; il faut dire cent de tuez. Déchirement. Se dit seulement au figuré. Déconfire. Dans le sens de mettre en déroute, ce verbe est tout-à-fait hors d'usage. Déferrer. Ce verbe s'emploie quelquefois au sens de démonter, déconcerter; d'Ablancourt s'en est servi dans cette signification: Alors il se fit une huée qui déferra le témoin. Ni raison, ni demi. Cette façon de parler est d'usage dans le discours familier, et on dit tous les jours (1689) il n'y a ni raison ni demi dans tout ce qu'il dit. Dépiquer. Ce verbe se met quelquefois au lieu de consoler; Voiture s'en est servi dans ce sens en écrivant à M. de Lyonne. Déprendre. Quelqu'un a prétendu que ce verbe avait vieilli dans notre langue; mais il s'est trompé; ceux qui savent ce que c'est que de bien parler ne se font nullement scrupule de l'employer. Désasseurer. - C'est un vieux mot qu'on devrait bien faire revivre; car nous n'avons point de terme (1689) qui signifie rendre un homme incertain d'assuré qu'il était; le mettre dans le doute touchant une chose dont il ne se doute pas. Desireux. Cet adjectif n'est pas du bel usage, quoique quelques personnes s'en servent dans les livres de dévotion: desireux de son salut. Diriger, Directeur. Ne se disent d'ordinaire qu'en termes de direction spirituelle; quant à direction, il n'est pas uniquement attaché au spirituel. Dissoudre. Ce verbe présente des difficultés dans sa conjugaison. Faut-il dire les vapeurs se dissoudent, ou se divolvent? Andry croit qu'il faut dire dissoudent, forme employée par nos bons auteurs. Dont, D'où. Il faut dire la maison dont il est sorti, s'il s'agit de l'extraction, et d'où il est sorti, si l'on parle de quelqu'un sorti d'une maison après y étre entré. Droiture. Ce mot ne se dit point au sens naturel; on ne dit pas la droiture d'un baton; c'est seulement au moral qu'il s'emploie. |