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somme. » Ce qu'il explique en disant que, si Malthus s'est trompé en réduisant par trop la période naturelle du doublement d'un peuple, il n'en est pas moins vrai que l'augmentation des subsistances ne suit pas la progression de la population (p. 191).

On n'est pas étonné, après cela, de l'entendre gémir sur l'état de surpopulation de l'Allemagne. La situation démographique de la France lui paraît préférable, et il nous loue de notre réserve. Voilà des éloges qu'il est bien regrettable de mériter.

P. FORTIN, S. J. Revenu, salaire et capital, leur solidarité, par le duc DE NOAILLES. Paris, Téqui, 1896. In-18, pp. 152. Prix : 1 franc. Sous ce titre la Société Bibliographique réédite la brochure que le duc de Noailles, alors duc d'Agen, fit paraître en 1872. Le but de ce petit livre est excellent : réfuter par les données de la science positive les prétentions des collectivistes, montrer par des chiffres irrefutables que le partage de la richesse nationale n'est qu'une utopie colossale; malheureusement, les preuves sont loin de répondre à ces nobles et généreuses intentions.

M. le duc de Noailles est un fidèle disciple de Bastiat, mais les aphorismes du protagoniste enthousiaste de l'École classique en France sonnent creux aujourd'hui, la théorie du Wage-fund, sur laquelle s'appuie l'Auteur, n'est plus qu'une ruine. En vérité, il faut posséder l'optimisme robuste de Bastiat pour souscrire à cette proposition: « Le travail perçoit comme rémunération la totalité des capitaux circulants. » Le noble écrivain divise la fortune d'un pays en produits réels et en circulation. Sous les formes multiples du crédit, la circulation crée-t-elle des richesses? Non, pas plus que les chemins de fer ne créent les marchandises transportées.

Parlant du fléau de l'alcoolisme, l'auteur émet eette idée, « que le cabaret indique la situation de l'ouvrier comme la bourse, la fortune du pays. » Comparaison ingénieuse, peut-être, mais assurément inexacte. Vous dites: Plus l'ouvrier dépense au cabaret, plus il est riche! Qui se laissera prendre à ce paradoxe? En France, la consommation moyenne individuelle de deux litres d'alcool en 1872 s'est élevée à près de quatre litres en 1885; la condition des ouvriers est-elle deux fois meilleure?

Ces réserves faites, nous sommes heureux de rendre pleine

justice à la conclusion de cette brochure: «< Tout système de partage ou de liquidation socialiste, loin d'offrir des solutions supérieures aux combinaisons actuelles de la liberté économique, causerait la ruine de la société et de la civilisation.

CH. ANTOINE, S. J.

Le Homestead, ou l'Insaisissabilité de la petite propriété foncière, par Paul BUREAU, professeur suppléant à la Faculté libre de Droit de Paris. Paris, Rousseau, 1895. In-8, pp. xii-391. Prix: 7 fr. 50.

Le Homestead aux États-Unis, par L. VACHER, président sortant de la Société de Statistique de Paris, ancien député. Paris, Guillaumin, 1895. In-8, pp. 1x-286.

L'émigration des campagnes vers les villes, l'instabilité des petits propriétaires ruraux, le morcellement des héritages par les énormes frais de mutation des parcelles de terre, le nombre croissant des saisies immobilières, tel est le redoutable problème économique qui est depuis une dizaine d'années agité en France et dans plusieurs autres États d'Europe. Pour remédier à ce mal, on propose l'établissement du Homestead, c'est-à-dire la constitution de << biens de famille » insaisissables, inalienables — ou, du moins, difficilement aliénables et intégralement transmissibles à l'un des héritiers, sous condition d'indemnité pour les

autres.

C'est à l'étude du Homestead que sont consacrés les deux ouvrages dont nous venons d'indiquer les titres.

M. Bureau, docteur et professeur en droit, est allé aux ÉtatsUnis, a parcouru plusieurs des États de l'Est et de l'Ouest, multipliant de tous côtés les enquêtes, les questions, les « interviews », et offre au public le résultat de ces recherches faites sur place. Après avoir posé nettement la question, précisé les deux sens du mot Homestead, et distingué le Homestead américain du Homestead européen, l'auteur étudie la situation économique aux ÉtatsUnis et au Texas en 1839, époque à laquelle fut promulguée la première loi américaine du Homestead. A cet aperçu historique succède le commentaire fait principalement au point de vue économique, du régime du Homestead. On lira avec un vif intérêt cette étude très consciencieuse, très fouillée, qui révèle les qualités

maîtresses du professeur : la sûreté dans la conception, la clarté de l'exposition, la précision des détails.

Quant aux effets pratiques des lois du Homestead, ils sont, d'après l'opinion de M. Bureau, minimes ou négatifs, suivant les différents États. Un chapitre spécial est consacré aux projets de loi de Homestead en Italie, en Allemagne, en Autriche et en France. Les propositions de M. l'abbé Lemire et de M. Léveillé sont étudiées avec un soin particulier.

Que conclut le savant professeur? « Qu'il n'y a pas lieu d'introduire en France la législation du Homestead; car l'intérêt social ne réclame pas cette institution, il exige la transformation des incapables. »> « Pour lutter dans la mesure du possible... il faut que le paysan devienne chaque jour plus capable; toute institution qui, à l'instar du Homestead, tendrait à le préserver arbitrairement contre les suites de son inertie, doit donc être considérée comme inutile et dangereuse. » Aux lecteurs qui trouveront ces conclusions un peu dures, je conseille la lecture du livre de M. Vacher.

Cet auteur, en effet, exprime la conviction et même l'espoir que le Homestead réussira sur notre continent, comme il a réussi de l'autre côté de l'Atlantique. Après avoir étudié, à l'aide de nombreux documents, au point de vue juridique et économique, la législation du Homestead aux États-Unis, M. Vacher met en balance les inconvénients et les avantages de cette institution. Il montre, avec beaucoup de justesse, que les imperfections du régime, les abus et les inconvénients qu'il présente dans la pratique, tiennent surtout à ce que l'œuvre législative est défectueuse dans le plus grand nombre des États. Tel qu'il est cependant, et malgré ses imperfections et ses défauts, le Homestead peut être considéré comme une institution de prévoyance et une institution politique qui a rendu et rendra de plus en plus dans l'avenir des services aux particuliers et à l'État.

Nous félicitons sincèrement l'auteur d'attacher plus de prix aux avantages sociaux du Homestead la conservation de la famille, la diminution du paupérisme, l'atténuation de la criminalité — qu'aux exigences, non fondées, des lois économiques, aux subtilités spécieuses des juristes, aux fausses revendications de la liberté. CH. ANTOINE, S. J.

La Coopération de production dans l'Agriculture, par le comte DE ROCQUIGNY. Paris, Guillaumin; Masson, s. d. In-8, pp. xvi-207. Prix : 4 francs.

Cet ouvrage n'est que le résumé d'un rapport très complet et très documenté que M. le comte de Rocquigny a présenté au ministère du Commerce. Par un arrêté du 13 juillet 1894, M. Lourties, alors ministre du Commerce et de l'Industrie, l'avait chargé de recueillir, comme délégué temporaire de l'Office du Travail, des informations concernant le sort des populations agricoles en France et plus particulièrement les procédés coopératifs de production et de vente employés par les cultivateurs, afin de remédier aux difficultés de leur situation.

Pour remplir avec honneur la mission qui lui était confiée, M. le comte de Rocquigny a dû visiter et étudier sur place un très grand nombre d'associations agricoles réparties en différentes régions de la France. Il a beaucoup vu et beaucoup retenu; aussi ses notes intéresseront-elles au plus haut degré tous ceux qui se préoccupent de l'avenir de l'agriculture dans notre pays. Il y a là une collection de faits qu'un esprit philosophique saura grouper autour de quelques idées générales; ils jalonneront la voie que paraît appelé à suivre le mouvement syndical agricole qui s'oriente de plus en plus vers la coopération de production. Dans une Introduction, un peu longue peut-être, mais d'une lecture très suggestive, M. de Rocquigny, après avoir constaté que la crise agricole frappe toutes les contrées de l'Europe, propose comme moyen pratique d'atténuer le mal présent, la résolution votée au mois d'août 1895 par le congrès international de la coopération tenu à Londres, c'est-à-dire l'adoption des méthodes coopératives.

Lorsqu'une industrie prospère, l'individualisme est assez naturel à l'homme; mais viennent les épreuves, l'utilité de l'association se fait immédiatement sentir et à la maxime égoïste du <«< chacun pour soi », il faut substituer aussitôt la maxime plus humaine et surtout plus chrétienne de «< chacun pour tous et tous pour chacun ». C'est précisement dans la mise en pratique de cette dernière maxime que consiste la coopération.

Un publiciste français, M. Georges Michel, en a donné la définition suivante : « La coopération est une entente entre des per

sonnes qui réunissent leurs forces pour lutter avec succès contre les obstacles qui s'opposent aux individus et pour être capables d'offrir ou d'obtenir des avantages supérieurs à ceux qu'elles pourraient offrir ou obtenir si elles restaient isolées. »

D'ailleurs les pratiques coopératives sont chose aisée, et souvent même on fait de la coopération comme M. Jourdain faisait de la prose, c'est-à-dire, sans le savoir.

Les pages plus particulièrement intéressantes de l'introduction sont celles où M. de Rocquigny passe en revue les divers États de l'Europe, montrant partout les résultats pratiques obtenus par l'emploi des méthodes coopératives.

Avec une connaissance parfaite de son sujet, il classe ensuite les procédés coopératifs applicables à l'industrie agricole sous l'une des rubriques suivantes :

1° Exploitation du sol ou travaux de culture; 2o Préservation des récoltes;

3o Élevage du bétail et spéculations animales; 4° Transformation industrielle des produits; 5° Vente des produits.

Il est réellement consolant de voir les progrès accomplis depuis quelques années dans l'exploitation du sol, et cela grâce à la coopération, qui porte son activité à la fois sur l'achat des engrais, les travaux agricoles, le crédit coopératif ou mutuel et l'assurance contre les accidents.

Mais il ne suffit pas de produire économiquement, il faut encore veiller à la conservation des produits agricoles exposés, selon leur diversité, à bien des causes de destruction ou de dégradation. Une action commune peut seule les en défendre. M. de Rocquigny ramène cette forme de coopération rurale à quelques types tels que défense contre les insectes nuisibles et les maladies cryptogamiques, destruction des vers blancs, protection de la vigne contre les gelées, protection des récoltes contre le maraudage, etc.

La coopération trouve aussi à utiliser ses procédés dans les méthodes employées pour conserver et améliorer les races de bétail, pour créer des débouchés à la vente des animaux et leur faire acquérir une plus-value. Il suffit, pour s'en convaincre. de signaler les résultats obtenus pour améliorer l'espèce chevaline par la création des Stud-Books, sorte de livres généalogiques où

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