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autres puissances subissaient son ascendant. C'est ainsi qu'il contribua puissamment au rapprochement cordial des armées française et anglaise, qu'il séduisit les Turcs au point de les rendre prêts à le suivre au plus fort de la mêlée, et qu'on modéra à grand'peine leur ardeur au jour mémorable de l'Alma. Enfin, et ce n'était point là le plus facile, il sut avoir raison des préventions absurdes que nourrissaient contre son arrivée les populations qu'il traversait. Mais c'est surtout dans la délicatesse de ses sentiments privés qu'il nous paraît grand. Que de simplicité dans les lettres à sa fille, et que de tendresse paternelle! Il est vraiment beau de voir le général en chef d'une grande armée parler de mille petits détails que beaucoup sans doute auraient cru devoir laisser de côté. Et si l'on songe au milieu de quelles difficultés et de quelles douleurs ces lettres étaient rédigées, il sera facile d'en comprendre tout le prix.

Disons tout de suite que de si nobles qualités avaient leur source naturelle dans les sentiments de foi vive qui animaient la grande âme du maréchal. « Le maréchal était chrétien, modestement, sincèrement. » D'ailleurs, les sentiments de foi, de confiance, et d'abandon à la volonté divine reviennent constamment dans ses lettres à sa fille, dans ses discours et dans ses écrits de toutes sortes. Il n'est pas besoin de dire qu'il reçut au dernier moment les secours suprêmes de la religion. Aussi ne peut-on qu'applaudir à ces mots de Louis Veuillot : « Ses œuvres lui ont ouvert la porte de l'histoire et sa foi celle de l'éternité. »

E. GAILLARD, S. J.

Étude sur la décomposition de la France, par L. BASCOul. -I. Avant 89. Saint-Amand (Cher), Imprimerie SaintJoseph, 1892. In-12, pp. 438. Prix : 4 francs. — II. Après 89. Le Paganisme chrétien, 1893. In-12, pp. 368. Prix : -III. Le Christ ou la mort, 1895. In-12, PP. VII-317. Prix : 3 fr. 50.

3 fr. 50.

A la fin du premier acte de cette imposante trilogie, l'auteur dit lui-même de son ouvrage : « Ce livre ne peut être qu'un livre de justice. Prenant le mal qui nous ronge et qui menace la France

décomposition fatale, il a voulu montrer ce mal grandissant tout le long d'un siècle fiévreux. » Ce résumé de la première partie donne la pensée de l'œuvre entière.

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Qu'il y ait vraiment dans notre société malade un travail de décomposition, la chose est claire, et le mot ne saurait paraître exagéré. C'est précisément ce sinistre travail que M. Bascoul étudie, promenant partout le scapel et la sonde pour en détermi ner l'origine, les causes éloignées et prochaines, les phases diverses et les effrayants ravages.

Avant 89, ce sont les premiers symptômes et les premières crises, puis les plaies qui se creusent de plus en plus profondes dans le corps social envahi de tous côtés ; c'est l'insubordination de l'esprit et le dévergondage des mœurs préparant la chute de l'ancien régime et l'avènement de la Révolution. Le mal n'est pas d'hier; c'est Luther qui, en « jetant le froc lourd à ses épaules, en a secoué les germes sur le monde. » Une fois inoculé, le virus se propage, s'infiltre partout; la licence effrénée de penser amène la licence effrénée d'agir; la nouvelle philosophie sape à la fois le trône et l'autel ; la Raison, divinité nouvelle, sourit à la guillotine ainsi qu'au culte de la chair, et la société gangrenée du xvIIIe siècle s'effondre enfin dans la boue et le sang.

Après 89, c'est l'envahissement progressif du paganisme chrétien, mélange hybride que nous a transmis la Révolution après l'avoir reçu elle-même de la Renaissance; c'est l'esprit païen s'emparant de la nation très chrétienne et renouvelant toutes les folies de l'antiquité; c'est l'État moderne mettant Dieu hors la loi pour prendre sa place; c'est le libéralisme païen, la civilisation païenne, la science païenne, et, par conséquence fatale, la vie et les mœurs païennes. La décomposition semble toucher à sa dernière période, et le socialisme affamé, ne connaissant plus ni Dieu ni maître, nous menace de nouveaux châtiments et de nouvelles ruines.

Le Christ ou la Mort, c'est l'inéluctable dilemme qui se pose encore une fois devant la société malade. Toutes les solutions humaines ont échoué; tout ce que n'a pas inspiré et béni Celui qui est l'unique Sauveur n'a été qu'un pas de plus vers l'abîme : il faudrait enfin le reconnaître après tant de terribles leçons et briser une fois pour toutes avec les errements du passé. Sinon, c'est la mort; car, pour les sociétés comme pour les individus, hors du Christ et de son Église, point de salut.

Telle est, dans ses grandes lignes, l'œuvre de M. Bascoul, faite d'études sociales qui rappellent celles de Drumont. Nous avons

peur que la trame n'en paraisse pas assez serrée et les divisions assez nettes; peut-être aussi trouvera-t-on qu'une trop grande abondance de détails nuit quelque peu au relief de l'idée ; que les mêmes aperçus reviennent souvent, et que le mouvement trop oratoire de la pensée verse parfois dans la déclamation. Mais l'ouvrage n'en est pas moins excellent et de main d'ouvrier. Connaissance peu commune de l'histoire et de notre société, bonne trempe philosophique et théologique, convictions profondes et fortes, zèle d'apôtre, plume alerte et mâle, M. Bascoul a tout cela; c'est plus qu'il n'en faut pour faire de beaux et bons livres. A. CADET, S. J.

I.

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Lois et institutions militaires. Six études organiques, par le capitaine GILBERT (G. G., de la Nouvelle Revue). Paris, Librairie de la Nouvelle Revue, 1895. In-12, pp. 448. Prix : 3 fr. 50.

II. - Madame Sans-Gêne et les Femmes soldats (1792-1815), par Emile CÈRE. Paris, Plon, 1894. In-12, pp. 320. Prix : 3 fr. 50.

I. De livre plus clair, plus simplement écrit, plus commode, sur les dernières lois militaires votées par nos parlements de politiciens et mises à exécution par des ministres de passage, il n'y en a pas, je crois. C'est franc et loyal comme une lame d'épée, mais aussi tranchant et acéré au besoin que le plus pur acier. L'œuvre est surtout d'un critique. Elle a paru au fur et à mesure des questions militaires débattues dans les Chambres, et les lecteurs de la Nouvelle Revue ont pu la lire et la relire article par article.

Le capitaine Gilbert est nettement hostile à toutes les réformes soi-disant démocratiques qui prétendent réorganiser l'ar mée et n'organisent que des cohues ou des troupeaux. Il veut que les célibataires seuls soient voués « aux premières et grandes hécatombes », et non les hommes mariés. Il veut encore que l'on forme des sous-officiers qui donnent aux masses inertes de nos recrues une ossature, des nerfs et de la vigueur. Il déplore la diminution progressive de la durée du service, cause fatale de la disparition de l'esprit militaire dans la nation (p. 63). Enfin il a fait valoir, au temps où l'on espérait que le Sénat entendrait ce

langage du bon sens, toutes les incompatibilités entre l'état ecclésiastique et le métier des armes. Après avoir exposé les inconvénients de toute sorte qui en résultent pour le pays et pour les individus, il ajoute : « C'est, de plus, une interprétation judaïque du Concordat» (p. 158).

Les derniers chapitres, consacrés aux dessous de la loi militaire allemande, sont des plus intéressants.

II. — Il serait difficile d'imaginer un pot-pourri plus désordonné que ce volume. Madame Sans-Gêne n'en est que l'enseigne. L'auteur après avoir démêlé les deux dames célèbres qui ont porté ce surnom, l'une Thérèse Figueur, connue par un passage des Mémoires de Marbot, et l'autre la maréchale Lefebvre, ainsi baptisée par M. Sardou, arrive dès la page 66 à la mort de Thérèse Figueur, aux Petits-Ménages, le 4 janvier 1861. Après sa joyeuse vie aux dragons de la Révolution et de l'Empire, celle qui traitait Bonaparte de « Moricaud », qui résista aux assauts de Bernadotte et fut l'aide-de-camp de la maréchale Augereau à La Houssaye, mourut tristement, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, et sans la croix d'honneur. L'honneur paraît avoir été cependant sa plus haute vertu et même toute sa religion.

Le reste du volume est consacré aux femmes françaises prisonnières à Cabrera (ce chapitre seul empêcherait ce volume d'être mis entre toutes les mains); aux héroïnes espagnoles qui crevaient les yeux aux Français à coups de ciseaux et défendaient Saragosse en invoquant Notre-Dame-del-Pilar, proclamée leur <«< capitaine » ; aux femmes ou plutôt aux filles de la Révolution, pour lesquelles l'auteur a de singulières indulgences; il regrette que Lamartine, par exemple, ait traité Théroigne de Méricourt de << Jeanne d'Arc impure de la place publique » (p. 173). Songez donc Une femme qui recevait dans son salon, Sieyès, Pétion, Anacharsis Clootz et Saint-Just! Les conclusions de l'étude sur le chevalier d'Eon ne sont pas plus justes. Seules, les saintes et glorieuses Vendéennes reposent un peu les yeux de ces scènes de la vie des camps, pleines de femmes soldats et aussi de femmes à soldats. H. CHÉROT, S. J.

Lacordaire, par M. le comte D'HAUSSONVILLE, de l'Académie française. Collection des Grands Écrivains français. Paris, Hachette, 1895. In-12, pp. 216. Prix : 2 francs.

Le P. Lacordaire, de l'Académie française, a l'honneur d'être, pour la seconde fois, raconté par un de ses pairs. Des biographies, bien connues, de Montalembert, de Foisset, du P. Chocarne, M. le comte d'Haussonville a pris comme la fleur; puis il a glané des notes ou des pages à travers les 8 volumes de la Correspondance du célèbre orateur.

Il relève bon nombre de détails curieux et peu connus. Par exemple, que, dès l'âge de 18 ans, Lacordaire avait écrit une tragédie républicaine intitulée Timoléon (p. 15); et que plus tard, en chaire, l'ancien dramaturge de collège tirait «< toutes ses citations poétiques de Voltaire, dont le théâtre paraît lui inspirer une admiration vraiment excessive » (p. 144).

Autres faits moins connus: le jeune Lacordaire rêva de partir pour l'Amérique (p. 36); il avait demandé à Mgr de Quélen la permission d'entrer chez les Jésuites de Montrouge (p. 29); et ce fut chez les Jésuites de Rome qu'il résolut de rétablir en France l'Ordre de Saint-Dominique (p. 114). Savez-vous combien son fameux journal l'Avenir eut d'abonnés ? Il ne dépassa jamais 1 200 (p. 61).

On trouve tour à tour, dans ce gracieux volume, des pages vigoureuses, comme celles où il est question des relations de Lacordaire avec Lamennais; des pages exquises, comme celles où l'on parle de Mme Swetchine, cette Marcella dont le Mont Aventin fut la rue Saint-Dominique ; des pages piquantes, entre autres, sur les idées politiques successives de Lacordaire, qui, après avoir appelé les hommes de 89 « ses pères », finit par déclarer qu'une monarchie pouvait fournir au peuple tout autant de liberté, d'égalité, de fraternité que la démocratie (p. 199); enfin des pages superbes, où l'historien résume l'enseignement de Lacordaire à Notre-Dame, et le juge.

Ces jugements sont peut-être sévères; et peut-être les imitateurs maladroits de l'illustre Frère prêcheur trouveront-ils dure cette petite phrase : « Il est rare qu'un de ses sermons laisse une impression complète, et trop souvent le goût ou la logique y souffrent par quelque endroit. » (P. 151.)

Le livre, d'où je ne retrancherais qu'une note trop élogieuse pour les sermons du protestant E. Bersier, est écrit avec une délicatesse, une discrétion, une élégance parfaites; avec un sentiment profond de foi chrétienne et une admiration, non fougueuse, mais

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