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de tous; et cette suprématie de la moralité est demeurée un des points fixes de la pensée moderne, vestige de christianisme chez les âmes qui s'en croient les plus affranchies. » (P. 278.)

R. DE LA BROISE, S. J.

Le Régime sauveur, ou la Communion dans les maisons d'éducation, par le R. P. J.-M. LAMBERT. Paris et Poitiers, H. Oudin, 1895. In-12, pp. xII-406.

Notre temps a vu plus que tout autre se multiplier les abstentions volontaires de la sainte Table et les profanations hideuses de la divine Eucharistie; plus que tout autre il voit remettre en honneur la communion fréquente. Les âmes pieuses offrent ainsi à Notre-Seigneur un dédommagement et lui demandent un accroissement d'amour et de vie divine; les âmes tentées mais courageuses, faibles mais désireuses de se surmonter, puisent à la source force et pureté. Les sacrilèges systématiques pourraient bien n'être qu'une monstrueuse revanche de Lucifer contre JésusChrist plus que jamais adoré et aimé dans le Très Saint Sacrement.

Rappeler aux directeurs et confesseurs des jeunes gens l'efficacité surnaturelle de la communion fréquente et même quotidienne pour préserver la pureté et faire grandir la vie de Dieu, l'introduire dans les établissements où elle n'est pas en usage, c'est le but du R. P. Lambert; il le poursuit avec une ardeur et un zèle tout apostoliques. La doctrine théologique de l'efficacité des sacrements ex opere operato, et du caractère de remède qui en fait non la récompense d'une haute vertu, mais aussi l'aliment des infirmes et des pécheurs désireux de triompher définitivement d'eux-mêmes, se complète et se démontre par de très nombreux faits. Témoignages de jeunes gens, attestations de confesseurs, de directeurs d'établissements, rendent hommage à la vertu puissante de la fréquentation de l'Eucharistie pour extirper les vices, conserver et accroître les vertus chrétiennes. Oui certes, bien des jeunes gens sont capables d'en tirer un immense profit, soit pour se convertir entièrement, soit pour se maintenir, soit même pour monter jusqu'à l'héroïsme : les exemples cités en font pleinement foi.

L'auteur réfute les objections; la réfutation, exacte et suffisante pour le fond, ne se ressent-elle pas tant soit peu du grand désir de généraliser la thèse? Les dispositions convenables nous ne

disons pas indispensables — régulièrement d'autant plus requises que la communion devient plus fréquente, sont indiquées assez nettement pour les confesseurs qui les connaissent déjà, et que ne préoccupe pas un désir inconsidéré d'amener à tout prix à la sainte Table. Le seraient-elles également pour d'autres lecteurs? Nous n'oserions l'affirmer avec autant de confiance. Nous voudrions voir aborder plus ouvertement le cas, nullement chimérique, de communions fort peu désirées, pas même acceptées avec une vraie foi, mais subies et multipliées pour suivre la mode, quand la mode est de communier souvent et qu'un directeur peu discret y porte sans assez de discernement. Aussi sont-elles abandonnées dès que la liberté morale est pleinement recouvrée. Pour de tels communiants, les seuls que nous ayons en vue, le fruit est pauvre, l'effort généreux presque nul; le cœur se blase; et sans parler du sans-façon excessif en matière de préparation et d'action de grâces, le sacrilège n'est point un péril imaginaire. Même dans ce cas, la faute ne serait pas à la fréquente communion, mais au manque de prudence du directeur.

Nous le répétons, et c'est justice : Dans le livre du R. P. Lambert les réserves nécessaires ne font point défaut; nous les aurions seulement voulues plus apparentes et plus explicitement formulées.

Pas plus au XIXe siècle qu'aux âges précédents, l'opus operatum, dont les rigoristes semblaient tenir si peu de compte, ne peut faire oublier la nécessité de l'opus operantis, de la lutte et de l'énergie personnelle qu'il provoque puissamment, mais ne supplée pas. Les règles tracées par les grands théologiens, S. Alphonse de Ligori spécialement, conservent leur vérité; entendues sans étroitesse elles assurent les bénédictions de l'Eucharistie. La fréquente communion dont le R. P. Lambert est l'apôtre saintement passionné, n'a rien à redouter de leur judicieuse et large application. S. ADIGARD, S. J.

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I. La Galilée, par Pierre LOTI, de l'Académie française. Paris, Calmann-Lévy, 1896. In-8, pp. iv-248. Prix : 3 fr. 50.

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II. Au pays du Divin Maître, par l'abbé L. LAPLACE. Lyon, Vitte; Paris, Lecoffre, 1895. In-18, pp. vi-270.

I. Et il s'en allait à travers le vieux pays de Ghalil, le pèlerin

à l'âme dolente, buvant à longs traits la mélancolie des choses et laissant couler de son cœur navré, semblable à une urne funéraire, ses amères désespérances et ses phrases voluptueusement langoureuses......

C'est le troisième volume des impressions de voyage de Pierre Loti en Orient; il va de Jérusalem à Beyrouth, en passant par Damas. Comme ci-devant, de la description à jet continu. L'artiste vous détaille la toilette du ciel et de la terre, des soleils levants et des soleils couchants, des plaines et des montagnes, des champs d'orge, des vieux ponts, des petites filles, des villages farouches, du soir, du matin, de la grande pleine lune d'argent, etc., etc., le tout avec la précision, la propriété de termes et le sérieux d'une modiste qui connaît la valeur d'un pli ou d'une nuance. Vous saurez, par exemple, qu'il rentre à son campement de Tibériade « sous une lune qui fait les tentes toutes blanches au milieu du velours foncé des foins, qui projette, très noire à côté, l'ombre des remparts farouches et des quelques palmiers sveltes »; ou bien encore qu'il a rencontré, je ne sais où, « des charrettes lentes, que traînaient des buffles gris, coiffés de perles bleues, ou des bœufs blancs au front rougi de henneh ». Quant à Celui dont on va chercher les traces à Jérusalem et en Galilée, l'académicien ne l'ayant pas vu au rendez-vous nocturne qu'il lui avait donné à Gethsemané, s'en préoccupe désormais assez peu: «< Aux approches de Nazareth et de la mer de Tibériade, le fantôme ineffable du Christ deux ou trois fois s'est montré, errant, presque insaisissable, sur le tapis infini des lins roses et des pâles marguerites jaunes, et je l'ai laissé fuir, entre mes mots trop lourds... » Les belles dames trouvent sans doute cela exquis. Nous autres, qui sommes d'une essence moins éthérée, nous nous demandons ce que cela veut dire.

De vrai, le pauvre Pierre Loti donne raison au vieil adage scolastique: Quidquid recipitur, recipitur ad modum recipientis. Le Divin Maître, en passant par son imagination, est devenu une sorte de rêveur, pour ne pas dire de névrosé, mélancolique et doux, qui, au moment de mourir, quand son âme « s'angoissa devant l'anéantissement prochain », se rappelle les montagnes de Nazareth, «<le triste golfe d'herbages au bord de la plaine d'Esdrelon, les hauts pâturages tranquilles... où s'entendait le rappel des chèvres au chalumeau des bergers... »

Hélas! peut-on en vouloir au romancier de ses fantaisies échevelées quand on voit un pasteur de son Église, M. Stapfer, docteur ès choses divines et professeur de théologie en Sorbonne, expliquer dans un livre récent, le plus sérieusement du monde, comme quoi c'est en contemplant ces hauts pâturages tranquilles que Jésus découvrit sa vocation de Messie.

Après cela, inutile de relever les méprises et les inventions du pèlerin-académicien; il y en a qui font sourire, comme ce monastère, ces moines, ces cloîtres, ces frères convers qu'il prétend avoir vus à Naplouse, ou encore cette messe célébrée à Tibériade selon le rite oriental par un prêtre latin.

Après avoir accompagné Pierre Loti jusqu'au bout de « son pèlerinage sans espérance et sans foi », après avoir subi cet inventaire de choses vues qui se prolonge l'espace de 800 pages, s'il me fallait dire quelle impression d'ensemble il en reste, je n'hésiterais pas à la déclarer mauvaise et particulièrement dangereuse. Il s'en dégage une tristesse malsaine, qui n'a rien de commun avec l'esprit de pénitence, celle dont l'Écriture dit qu'elle est meurtrière pour les âmes, parce qu'elle tue toute volonté et toute énergie. C'est une maladie que laissent après soi les croyances mortes et les passions sensuelles assouvies. La lecture de Rousseau et de Goethe a provoqué beaucoup de suicides. Des livres comme ceux où Loti a décrit ses impressions de pèlerin pourraient fort bien faire germer la même idée dans quelques cerveaux mal équilibrés.

Heureusement, ils portent dans leurs feuillets l'antidote à côté du poison. Puisque nous sommes en Orient, qu'on me permette d'évoquer le souvenir d'une nuit de Noël passée dans un khan, sur le chemin d'Alep. Le vent soufflait des montagnes d'Antioche, chaud et fort, presque violent, et faisait vibrer les fils du télégraphe suspendus aux murs de la maison. Ce fut jusqu'au matin un concert de harpes éoliennes très harmonieux, très doux et très monotone, qui nous berçait délicieusement et nous invitait au sommeil. Je ne sais rien qui ressemble mieux que cette musique à la prose de Pierre Loti, et c'est pourquoi il est peu probable qu'il ait jamais à se reprocher le suicide d'aucun de ceux qui le lisent.

II. «< Donc, il s'achève ce soir, notre pèlerinage sans espérance et sans foi. Et maintenant,... il va falloir rentrer un peu

dans le courant de ce siècle. Ce sera, il nous semble, avec une lassitude plus profonde, avec un plus définitif découragement... En nous, s'est affirmé d'une façon plus dominante le sentiment que tout chancelle comme jamais, que les dieux brisés, le Christ parti, rien n'éclairera notre chemin. » (Fin de la Galilée.)

« Nous allons reprendre notre place dans la vie, et la vie est pour tous les hommes une mer agitée où les événements et les passions humaines les ballottent en tout sens; mais la foi affermit les âmes, et pour nous, pèlerins de Jérusalem, il nous reste au cœur, avec un grand amour, un impérissable souvenir. » (Fin de Au Pays du Divin Maître.)

Voilà deux retours de pèlerinage aux Lieux saints qui ne se ressemblent guère. L'académicien, avec son œil infirme, n'y a vu qu'un tombeau, et il annonce au genre humain, avec de beaux gestes désolés, que le Christ est mort et que tout est fini. Le prêtre catholique, lui, a trouvé partout la preuve qu'il est vivant, et il revient plus aimant, plus courageux et plus fort. Voilà tantôt deux mille ans que les choses se passent ainsi, et cela durera encore longtemps.

M. l'abbé Laplace a pris part au grand pèlerinage de 1893 et au Congrès eucharistique de Jérusalem; il n'est ni le seul ni le premier à publier ses Souvenirs et impressions. Mais il n'a pas la prétention de donner de l'inédit; il se contente de dire simplement, mais avec beaucoup d'onction et de piété, ce qu'il a vu et entendu. Son but est uniquement de faire mieux connaître et mieux aimer le « Divin Maître ». Et il faut lui savoir gré de se montrer dans son récit de pèlerinage plus prêtre que touriste. y en a d'autres, hélas! qui se montrent plus touristes que prêtres.

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On pourrait relever quelques inexactitudes : le chiffre des Arméniens catholiques est bien loin d'atteindre plusieurs taines de mille ». La colonne dite de Pompée, à Alexandrie, n’a rien à voir avec le rival de César; le Caire n'est pas l'ancienne Memphis, etc.

J. BURNICHON, S. J.

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