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esprit et son cœur n'ont pas été formés par l'entraînement de l'exemple; la nature avec toute sa poésie ne l'a pas instruit; il n'a subi d'influence d'aucune sorte; le trésor moral de sa sainte humanité ne s'est pas augmenté; ses facultés humaines ont eu du premier coup leur entière perfection sans avoir besoin de quelque progrès que ce soit.

Voilà ce qui se déduit logiquement des principes orthodoxes que M. l'abbé Bolo connaît bien puisqu'il les a clairement énoncés. S'écarter de ces déductions, c'est faire revivre l'hypothèse du développement progressif dans le Christ, autrefois émise par l'abbé Bougaud (Le Christianisme et les temps présents, t. III, 1o édit.), et par lui plus tard sagement retirée; c'est s'écarter de l'enseignement des Pères (S. Jean Damascène. Orth. fid., 3. 22. - S. Cyrille, L. 3, Cont. Nest.-S. Aug. L. 2, de peccat. mer. et rem. C. 29); c'est s'exposer même à l'anathème porté par le cinquième Concile général (Sess. 8, can. 12) contre ceux qui soutiennent avec Théodore de Mopsueste que le Christ « s'est élevé peu à peu au-dessus de ce qui est imparfait, et est devenu meilleur par ses progrès dans les œuvres ». Le seul progrès que la théologie admette dans l'Enfant Jésus, et qui suffit à expliquer le texte de saint Luc: proficiebat sapientia et gratia, c'est, avec des manifestations graduées de sa science et de sa vertu, progrès purement apparent, le progrès réel de sa science acquise par l'accroissement de ses connaissances expérimentales.

Si les pages où nous avons glané semblent aller beaucoup plus loin, c'est sans doute que les mots y ont dépassé la pensée, puisque les principes qu'elles émettent sont en contradiction manifeste avec les explications qu'elles donnent.

Qu'on nous pardonne cette critique faite sans amertume. Nous sommes prêt, pour acheter ce pardon, à déclarer tout à fait innocent le reste du livre, y compris la scénette enfantine de la fin, où la sainte Vierge fait si gentiment la toilette des jours de fête << du divin petit garçon », lui posant, «< selon l'usage des mères», quand elle l'a bien parfumé et bien coiffé, <<< un baiser sur le front »>.

L'Histoire de l'Enfant Jésus se ferme sur cette toilette et ce baiser. D'aucuns aimeraient la leçon plus grande; mais n'oublions pas que l'auteur s'est mis à l'œuvre (il nous le dit dans sa préface) avec cette pensée que « les exigences... de la morale à

faire... portent peut-être quelque préjudice à l'ineffable poésie qui rayonne sur les premières années du Sauveur ».

H. GRESSIEN, S. J.

Christliche Lebensphilosophie. Gedanken über religiöse Wahrheiten. (Philosophie chrétienne de la vie. Pensées sur des vérités religieuses), von TILMAN PESCH, S. J. Fribourg-en-B., Herder, 1895. In-16, pp. x1-599. Prix : Mk. 3,50 (4 fr. 40).

Par le plan comme par son caractère d'ensemble, cet ouvrage rappelle le livre si goûté du P. de Doss: « Gedanken und Rathschlaege» (Pensées et conseils). A l'examen, le rapprochement paraîtra superficiel. Le point de vue est autre, comme aussi la façon de traiter des sujets à peu de chose près les mêmes. Le plan général est celui du livre des Exercices spirituels de saint Ignace. Les vérités proposées à la méditation des hommes de bonne volonté sont distribuées en quatre semaines. Le R. P. Pesch les a groupées sous les titres suivants : Recherche de la vérité et conscience; Imitation de Jésus-Christ, considérée d'abord dans ses traits généraux, puis dans ses applications plus particulières; la Croix; le Triomphe.

La première partie comprenant sous le titre Recherche de la vérité, la grave question de la Destinée, a reçu un développement qu'on n'est pas accoutumé à lui donner dans ces sortes de livres (pp. 1-206). Les chapitres 18-26 méritent d'être signalés. On remarquera aussi l'insistance de l'auteur à mettre en pleine lumière la doctrine de la responsabilité personnelle tant d'autres, parfois même des catholiques, semblent portés à l'atténuer ! Dans les semaines suivantes, à l'école du divin Sauveur, nous apprenons la pratique des vertus de la vie chrétienne individuelle et sociale. Heureuses les familles et les sociétés où le Maître divin exerce sur les cœurs sa douce et puissante action! La question sociale peut bien s'y poser; elle est de tous les temps. Elle n'y atteint pas le degré d'acuité qu'elle a de nos jours dans les milieux déchristianisés; car la solution est toute proche. Envisagée au point de vue chrétien, sous le regard de Dieu, maître souverain et fin dernière; de Jésus-Christ pauvre, humilié et souffrant par amour pour nous, et enfin à la lumière de la récompense éternelle, la vie humaine se comprend, son

mystère est expliqué, ses épreuves sont consolées, ses joies elles-mêmes sont transfigurées. C'est là la vraie, la bonne philosophie pratique. Qui ne l'a pas marche dans les ténèbres; qui ne la pratique pas gaspille ses forces et manque sa destinée.

Le livre du P. Pesch n'est pas ce que l'on appelle vulgairement un livre de piété; c'est réellement le livre d'un philosophe. Sans être dépourvu d'une certaine onction qui va au cœur, il parle plutôt à la raison; il met en lumière de préférence le caractère rationnel de la vie chrétienne.

peu

D'autres livres pourront avoir plus de vogue; la foule goûte les lectures qui forcent à réfléchir. Le propre de cette « philosophie chrétienne de la vie » est précisément de provoquer la réflexion; c'est un livre suggestif, c'est là son mérite; auprès des esprits sérieux ce sera la meilleure des recommandations.

J. GRIESBACH, S. J.

Saint Ambroise et la morale chrétienne au quatrième siècle; Etude comparée des traités des Devoirs de Cicéron et de saint Ambroise, par Raymond THAMIN, ancien élève de l'Ecole Normale supérieure, ancien maître de conférences à la Faculté des lettres de Lyon, professeur de philosophie au lycée Condorcet. Paris, G. Masson, 1895. In-8, pp. 492. Prix : 7 fr. 50.

L'ouvrage de M. Thamin est une thèse pour le doctorat ès lettres, assez remarquée au moment de son apparition, il y a quelques mois. Une thèse est bien souvent une étude précise sur un sujet restreint, mais qui touche à l'histoire générale des lettres ou des idées, et qui ouvre à l'esprit des horizons. Ici, le sujet restreint, c'est le traité de saint Ambroise De Officiis ministrorum, sur les devoirs des clercs, imité du De Officiis de Cicéron.

:

La comparaison de ces deux codes de morale avait déjà été faite le mérite de-l'auteur est de la faire avec un soin particulier, de mettre à part le fonds de doctrine stoïcienne acceptée par Cicéron et Ambroise, les éléments romains ajoutés par l'orateur antique, les éléments nouveaux apportés par le christianisme et mis en œuvre par l'évêque. Quant aux élargissements du sujet, ils sont immenses: ce sont les origines de la morale chrétienne, les devanciers de saint Ambroise, le milieu où il vécut, ses contemporains d'Orient et d'Occident: en un mot, c'est à grands

traits toute l'histoire de la patristique pendant les quatre premiers siècles. C'est intéressant, mais c'est trop vaste. Un seul homme ne peut explorer par lui-même tout ce terrain; il faut par moment prendre des guides, il est fâcheux que l'auteur en ait plusieurs fois suivi, qui ne pouvaient que l'égare.

A vrai dire, pour parler avec exactitude de tant de questions délicates, où interviennent sans cesse la raison humaine, la vérité révélée, la liberté, la grâce et leurs rapports mutuels, il faudrait des études spéciales, une grande science du dogme et des controverses auxquelles il a donné lieu. Pour bien saisir la pensée des Pères, de saint Augustin en particulier, — pauvre saint Augustin, peu compris ici et ailleurs! il faut connaître à fond leur époque, l'état précis de la question entre eux et leurs adversaires, leur langue, et de plus comparer avec soin tous les passages de leurs divers écrits où ils traitent un même sujet.

si

Un seul exemple d'interprétation peu exacte : Saint Ambroise dit en propres termes : Natura jus commune generavit, usurpatio jus fecit privatum. Quoi de plus simple que d'en conclure avec M. Thamin (p. 281): « Pour le droit de propriété, non seulement saint Ambroise ne l'établit pas, il le nie : La nature a créé le droit collectif, l'usurpation a créé les droits individuels. » Il est certain cependant que usurpation n'est ni le sens primitif, ni le sens ordinaire d'usurpatio : ce mot, que MM. Bréal et Bailly (Les mots latins, 1891) traduisent par « usage, emploi, possession »>, serait bien rendu ici par « appropriation »; et l'appropriation peut créer un droit individuel parfaitement légitime. Si l'on voulait que saint Ambroise ait été collectiviste, ce n'est pas sur le mot qu'il faudrait s'appuyer, mais plutôt sur le contexte : encore le contexte bien compris n'implique-t-il nullement une négation du droit de propriété ; et le contexte plus large, les paragraphes voisins et l'ensemble des ouvrages d'Ambroise montrent assez, M. Thamin le voit bien lui-même, que l'évêque croyait les riches dans leur droit et les pressait seulement d'être charitables 1. Mais les remarques de détail nous entraineraient trop loin, tant est

1. Le passage de saint Ambroise (de Officiis, I, 132) a été discuté dans les Études, août et septembre 1878, pp. 192, 366, 309. — Un détail qui n'est pas théologique : A la page 253, l'auteur cite sans référence une phrase où Nicole parle de « la planète de Neptune ». Cela étonne, un siècle et demi avant Le Verrier; dans Nicole, il s'agit sans doute de Saturne. Bibliographie, VII. — 2

grand le nombre de celles qu'on pourrait faire, non pour chercher querelle, mais par le seul souci de la vérité dans les sciences ecclésiastiques.

Au reste, si l'on peut faire tant de remarques et tant de réserves, c'est que l'ouvrage abonde en faits et en pensées; et beaucoup de ces pensées sont vraiment philosophiques, fines ou littéraires. Un bon nombre de remarques, jetées en passant, sont d'un observateur délicat. Par exemple : « Cette union de la vie active et contemplative, qui est le caractère commun de tous les grands évêques, et presque la définition de leur genre de vertu... » (P. 42.) « Qui ne reconnaît dans le songe de saint Jérôme une de ces voix intérieures venant du plus profond de notre être, et perçant tout d'un coup les obstacles qu'instinctivement nous accumulions pour ne point entendre. » (P. 163. ) << Cette admiration, que les maîtres ont souvent pour les disciples, autant que les disciples pour les maîtres... » (P. 393.)

La conclusion contient (pp. 447-490), une analyse morale très travaillée, celle de la « conscience moderne >> : Fidèle, mais triste tableau du paganisme contemporain, du « désarroi des croyances », et de la « débâcle des devoirs »; peinture consolante et pleine d'espoir de la survivance ou de la renaissance de l'Évangile dans le monde d'aujourd'hui; peinture pleine d'espoir, oui, pourvu qu'on ne s'arrête pas en chemin, à ce malentendu qu'on nomme le néo-christianisme.

Quant à la pensée personnelle de l'auteur, elle n'apparaît pas aussi nette qu'on le souhaiterait. Toujours est-il que sa sympathie pour beaucoup d'idées chrétiennes a paru excessive à quelques-uns c'est une raison de plus pour que nous l'en félicitions; et, s'il a fallu dire qu'il ne comprend pas toujours, on se plaît à finir par quelques phrases où il a parfaitement compris et exprimé. « Ce n'est pas seulement telle ou telle vertu, c'est la vertu tout entière que le Christ est venu honorer et diviniser. Si l'antiquité païenne avait eu l'idée de l'Incarnation, elle eût fait de son Dieu quelque être rayonnant de force et de beauté. Il eût remporté les couronnes de tous les jeux. Apollon eût été son nom. Le Dieu des chrétiens n'a rien voulu pour lui de tout ce qui enorgueillit les hommes. Mais, excluant à tout jamais de la définition du divin les qualités qu'il n'a pas daigné revêtir, il a exalté, en s'incarnant en elles, ces qualités du cœur qui sont à la portée

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