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contact » d'une science qui jusqu'ici a donné plus d'étonnement que de lumière.

Au chapitre de la liberté, remarquable par plus d'un endroit, on a mal compris l'expression : liberté d'indifférence, au moins comme elle est employée par les scolastiques. Il ne s'agit pas chez eux d'un équilibre parfait de motifs égaux en sens contraire, ou de l'absence de tout motif déterminant. Cette expression désigne simplement l'état de la volonté sollicitée sans être déterminée, conservant, au milieu des impulsions du dedans ou du dehors, le pouvoir de se décider en dernier ressort.

L'immortalité, au moins la survie de l'âme est nécessaire à la sanction. Comment se fera la sanction dans la vie future? Si l'épreuve de cette vie a réussi, répond M. Alaux, c'est bien, l'homme atteint sa destinée. A-t-elle été manquée? C'est à recommencer (p. 533). L'âme donc se réincarne. Mais qu'arrivera-t-il si l'âme s'obstine à ne pas se tourner vers le bien? Car enfin elle le peut, elle est libre. Là est la difficulté de tous les systèmes de réincarnations et d'épreuves successives imaginées pour échapper à l'éternité du châtiment des coupables. Dieu sera-t-il réduit à violenter le libre arbitre pour le faire rentrer dans le devoir? Mais il n'y aurait pas là un véritable retour au bien, ni une véritable réparation de l'ordre. Dieu, comme en désespoir de cause, accordera-t-il à la volonté impénitente le même bonheur qu'à la volonté soumise? Ce rôle de vaincu répugne de toute façon à Dieu. M. Alaux revient souvent sur la question du péché originel; et, de fait, elle importe tant pour l'intelligence de l'homme et de Dieu! Mais sa manière d'en parler manque quelque peu de précision et de constance. Là où il touche de plus près à la doctrine catholique, c'est quand il dit que le péché originel est «< la perte d'un privilège », non d'une chose due en stricte justice, qu'il est une déchéance « non de la justice » naturelle, « mais de la grâce ».

Dans l'ensemble, la pensée gagnerait à être conduite avec plus de méthode et d'ordre. Les allures un peu vagabondes qu'elle affecte ne permettent pas toujours de la suivre facilement. Mais, comme nous le disions naguère d'un autre ouvrage du même auteur (Philosophie morale et politique. V. Bibliogr. 31 juill. 1894, p. 501), ce livre s'ouvre et se lit avec intérêt : il porte la marque d'un esprit réfléchi et original.

L. ROURE, S. J.

La Cité chrétienne, par Ch.-Cl. CHARAUX, professeur de philosophie à l'Université de Grenoble. Paris, Firmin-Didot. 2 vol. in-16, pp. 335 et 427.

<«< Quand une lecture vous élève l'esprit,... l'ouvrage est bon et fait de main d'ouvrier. » Ce jugement de La Bruyère se glisse naturellement sous la plume, quand on vient de fermer les deux volumes de M. Charaux sur la Cité chrétienne. C'est une lecture qui élève l'esprit, comme la contemplation de ces beaux sites du Dauphiné, que l'auteur se plaît à décrire. C'est encore une lecture qui fortifie le cœur. Dieu sait s'il en fut jamais plus besoin qu'en ces temps de désespérance, où les âmes s'attristent, où les bras retombent découragés. M. Charaux est un vaillant, qui vient nous dire, avec l'autorité de son expérience Gardez-vous de croire que tout est perdu! Jamais, sous les attaques du mal, la Cité chrétienne ne fut plus stable; jamais sa pure beauté, au milieu de tant de laideurs morales, ne brilla d'un plus vif éclat.

A l'appui de sa thèse, l'auteur nous montre de consolants spectacles. Il nous promène, plein de courtoisie et d'aimables discours, du tombeau d'Edipe au berceau de la vierge lorraine; des bords du Neuquen, non loin des Andes, au sommet de Montmartre. Une promenade, c'est le vrai titre de ces deux volumes, comme c'en est aussi le charme; - une promenade en compagnie d'un cicérone qui pense comme Platon, parle comme Chateaubriand, peint comme Millet;... une promenade au cours de laquelle les problèmes les plus ardus de la philosophie, comme la notion du temps et de l'espace, sont abordés, et les problèmes les plus attachants de la vertu chrétienne, comme la pureté et la charité, sont résolus. Guère d'autre unité d'ailleurs, à travers ces huit cents pages, que celle qu'on met dans une promenade... un peu longue. Rencontre-t-on un beau monument, on l'admire à loisir; un chêne trois ou quatre fois séculaire, on se repose à son ombrage; une antique stèle aux inscriptions à demi rongées par le temps, on s'attarde à la déchiffrer. C'est le hasard de la promenade qui a guidé les pas vers l'église gothique, l'arbre centenaire, la ruine curieuse.

Aussi bien, l'auteur le dit dans sa préface: il n'a jamais eu la prétention d'exposer, en ces Dialogues et ces Récits, une doctrine étroitement enchaînée dans toutes ses parties. S'il a voulu faire

de l'apologie, c'est sans déduction rigoureuse. Plaçant sous les yeux de ses lecteurs de nobles tableaux, il espère par là leur inspirer de bonnes pensées. Visant surtout à mettre en lumière le rôle admirable de l'Église catholique à travers le monde, par son institution divine, son culte, ses ordres religieux, il estime avec raison que les faits sont souvent les meilleurs arguments, du moins ceux qui frappent davantage. En plus d'un point, la Cité chrétienne rappelle le Génie du christianisme. C'est la même méthode et le même genre de poésie.

La philosophie occupe dans les causeries de M. Charaux une large place, et l'on aurait mauvaise grâce à s'en étonner. Luimême nous en a loyalement prévenus : « La pensée philosophique domine » dans le second volume. Elle ne règne guère moins en maîtresse dans le premier. Il faut bien avouer que cela rend la lecture parfois laborieuse, surtout pour les profanes. Or, M. Charaux, si nous saisissons bien sa pensée, prétend s'adresser non seulement à une élite, mais aussi à la foule. Il veut attirer à la Cité chrétienne beaucoup de fidèles, choisis surtout parmi les jeunes, ceux qui sont l'avenir. N'y a-t-il pas lieu de craindre que la part un peu copieuse faite aux spéculations abstraites ne déroute plus d'un lecteur et ne lui fasse fermer le livre? On regrette que le savant laisse parfois oublier le charmeur. Que cette critique, si c'en est une, soit mise sur le compte du désir très grand qu'on aurait de voir la Cité chrétienne devenir le livre de chevet des jeunes gens nombreux encore - qui cherchent

l'espérance!

Est-il besoin de dire que M. Charaux écrit un pur français ? Français un peu vieilli, toutefois, avec les grâces d'un autre âge, et une légère teinte de préciosité, laquelle tient à la tournure d'esprit de l'écrivain, qui est un délicat, plus qu'au choix des mots. A de certains passages, on a l'impression de lire, sous cette fraiche couverture datée de 1895, un livre écrit autrefois, au temps où nos mères étaient jeunes; impression qui a son charme.

Si l'on veut, feuilletant ces deux volumes, avoir un échantillon de la meilleure manière de l'auteur, qu'on lise, au tome II, l'Angelus. C'est une causerie philosophique, à la clarté des étoiles. Causerie à la portée de tous, où se trouvent, sur la beauté chrétienne de l'Angelus, des choses ravissantes. Il y a là une mère de famille qui paraphrase simplement, mais avec une rare élévation,

les paroles de la sainte Vierge. Ce n'est point pédant, et c'est profond, et surtout c'est consolant.

Faut-il ajouter, après tout cela, qu'on ne saurait trop propager la Cité chrétienne? Avoir composé ce livre, c'est avoir fait une belle et bonne œuvre; s'y plaire est un bon signe.

J. ADAM, S. J. Notice sur le Congrès scientifique international des catholiques à Bruxelles, par le chevalier MAC SWINEY. Bruxelles, Société de Saint-Augustin, 1895. In-8, pp. 224. Prix: 4 fr. 25.

Cette rédaction est très claire, ni trop longue, ni trop brève, et rendue intéressante par une pointe d'humour. Elle contribuera à faire connaître le congrès de Bruxelles et amènera des adhérents à celui de Fribourg, en 1897. Pour la section de philosophie, l'auteur ne laisse pas deviner que ses séances ont été mouvementées, surtout dans les questions touchant aux sciences, et sous l'influence de M. Duhem, professeur de physique mathématique à la Faculté de Bordeaux. Mais d'autres comptes rendus, même l'officiel, mériteraient la même observation. Pour connaître la vraie physionomie de ces réunions, il faut recourir aux articles publiés par le R. P. Gardeil dans la Revue Thomiste (novembre 1894 et janvier 1895). S'il y a eu quelques luttes, il ne faut ni s'en étonner ni le dissimuler à nos adversaires. C'est une preuve éclatante que les catholiques viennent là, non en petits élèves, pour suivre humblement un cours, mais en vrais savants, pour se communiquer des idées personnelles, longuement méditées, et chercher ensemble à les tirer au clair. Si, comme l'ont insinué d'un ton acerbe certains correspondants de journaux, les discussions, mêmes courtoises, étaient regardées comme un vice dans les congrès, ceux-ci perdraient leur principale raison d'être. Il serait plus simple et plus économique d'envoyer ses mémoires

à une revue.

Nous croyons savoir que M. Mac Swiney ne borne pas son zèle à ce compte rendu. Il organise avec succès un comité en Angleterre, pour le prochain congrès. C'est là faire œuvre essentiellement utile. Car les savants catholiques anglais ne s'étaient guère associés jusqu'ici au beau mouvement qui s'est fait sentir chez les autres nations. A. POULAIN, S. J.

I. - La Fin d'un peuple: La dépopulation de l'Italie au temps d'Auguste, par Maurice VANLAER. Paris, Thorin, 1895. In-8, pp. VIII-328. Prix: 7 fr. 50.

II.

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Mouvements et diminution de la population agricole en France Histoire et démographie, par Georges GUÉRY, docteur en droit. Paris, Rousseau, 1895. In-8, pp. 226. Prix 6 francs.

I. - La Fin d'un peuple! Quel titre, quand il s'agit du peuple qui conquit le monde, du peuple-roi!

M. Vanlaer ouvre son livre en rappelant l'heure brillante où César-Auguste allait volontairement abdiquer les pouvoirs extraordinaires qu'il s'était arrogés. Rien ne manquait à la gloire de cette heure prospérité des affaires, splendeur des édifices, chefsd'œuvre littéraires, paix profonde; et « pourtant sous ces brillants dehors,... le vieux peuple du Latium était marqué du doigt par l'ange de la mort...; l'Italie se dépeuplait ».

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C'est avec une véritable émotion et trop bien fondée, pour nous autres Français que l'on voit se dérouler dans le récit de M. Vanlaer les diverses phases du mal dont Rome devait mourir. Nous voyons tout d'abord une race forte et féconde de cultivateurs s'implanter solidement dans toute l'Italie. Mais après la seconde guerre punique un mouvement considérable se produit : il s'agit d'exploiter les conquêtes, c'est-à-dire les provinces de l'empire. paysan romain se fait commerçant, aventurier. Il vend ses pour se procurer un capital qu'il est si facile de faire fructifier. Il accourt à Rome. La concurrence du blé étranger, en amenant la transformation des champs en prairies, accélère la crise. Les campagnes changent d'aspect; alors se forment ces exploitations immenses dont Pline a dit : Latifundia perdidere Italiam.

Le

terres

Or,

que deviennent les populations qui s'entassent dans les villes, et surtout à Rome?

Les classes pauvres trouvent tout le travail manuel aux mains des esclaves. Pour subsister, l'homme du peuple, libre, n'a que quelques distributions de vivres, le trafic de ses suffrages, la sportule distribuée aux clients des grandes maisons. De tout cela, peut vivre, mais seul, sans famille. Si donc quelque enfant par hasard advient, on l'expose, surtout si c'est une fille. Du temps

il

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