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des membranes internes de l'œil, de la membrane hyaloïde, aussi bien que de la membrane cristalline. Ces membranes, alors très semblables à un verre dépoli, ne laissent passer qu'une faible partie des rayons lumineux.

Nous nous rendons ainsi parfaitement raison de l'insuccès qui a suivi deux opérations de cataracte faites sur des canonniers qui avaient perdu la vue presque complétement; cet insuccès, suivant nous, était forcé, et entièrement indépendant de l'opérateur, quelle que fùt son habileté, car l'obstacle à la vision ne résidant pas seulement dans l'appareil cristallinien, l'extraction ou l'abaissement de ce dernier ne pouvaient nullement rétablir la vision: « Ils y voyaient moins après qu'avant,» nous a-t-on dit généralement. La gradation de l'altération qui nous occupe paraît être le terne, puis le blanc peu foncé, nacré. Ceux qui la présentent arrivent rarement, ou plutôt jamais, à une complète cécité, par la raison qu'ils cessent de travailler longtemps avant la perte complète de la vue quand ils ne peuvent plus faire convenablement leur ouvrage; et alors l'altération, qui est purement physique, s'arrête du moment qu'ils ne sont plus soumis à l'action du feu.

Rétine. L'action du calorique rayonnant sur la rétine n'est pas saisissable, car il n'existe aucun symptôme qui dénote une altération organique ou fonctionnelle de cette membrane; nous devons admettre que le calorique rayonnant ne développe point l'inflammation de la rétine.

Nous venons d'établir l'action du caloriqne rayonnant sur les yeux. Nous sommes à même de résoudre cette question': Y a-t-il des tissus lésés? Quels sont-ils?

Les tissus de l'œil lésés sont les membranes internes, membranes transparentes, la membrane cristalline et la membrane hyaloïde; le siége, la forme de l'opacité, nous prouvent que ces deux membranes participent à l'altération; altération, du

reste, purement physique, semblable à celle qui consiste à dépolir plus ou moins un verre; altération qui s'arrête quand on suspend sa cause productrice, et qui ne détermine ni douleur, ni fièvre, ni aucune réaction générale.

Disons maintenant en quoi consiste cette altération de la vue, sa marche, ses symptômes, son diagnostic, sa terminaison, son traitement.

Les désordres que nous allons décrire s'observent chez tous les canonniers un peu plus tôt ou un peu plus tard.

La vue se brouille au commencement, ce brouillard n'est que temporaire et presque momentané; il existe seulement au sortir de la forge, à la lumière artificielle ou au soleil. Les choses peuvent ainsi durer pendant plusieurs années ; mais ordinairement, au bout de deux, trois, cinq ans au plus, le brouillard est plus persistant, et c'est le matin seulement, après le repos de la nuit, que les canonniers jouissent d'une

vue nette.

A une période plus avancée, que nous pourrions appeler la troisième, la vue est trouble en tout temps. Souvent, à ce dernier point, les canonniers voient mieux de loin que de près; ils sont devenus presbytes.

En général, au-dessous de quarante ans d'âge et de vingt ans de travail, nous trouvons peu d'altération de la vue. Sur vingt-quatre canonniers que nous avons examinés, il s'en trouve neuf qui n'éprouvent aucun trouble de la vision; deux seulement sont âgés de quarante et un ans, et un seul a vingtcinq ans de travail. Des quinze restant, dix ont plus de quarante ans d'âge et de vingt à quarante ans de travail ; les cinq autres ont de trente à quarante ans d'âge et de dix à vingt et un ans de travail. L'un d'eux avait la vue mauvaise primitivement, ce qui explique bien comment la vue s'est fatiguée chez lui beaucoup plus tôt que ses camarades. Chez les quatre autres, l'altération de la vue est peu prononcée, et surtout de courte durée; d'où l'on peut conclure qu'en général,

dans les vingt premières années, la vue reste saine ou est peu altérée. Passé cette période, l'affaiblissement de la vue est à peu près constant (un seul canonnier a atteint vingt-cinq ans de travail sans fatigue de la vue), et cet affaiblissement paraît être en raison directe du nombre des années de travail. Sans nul doute, la constitution de l'œil, sa force primitive, le plus ou moins d'assiduité au travail, les maladies, doivent exercer une influence considérable sur la précocité et la rapidité de l'affaiblissement de la vue. Mais, bien que nous nous soyons enquis de toutes ces circonstances auprès des ouvriers, nous n'avons obtenu aucun résultat statistique digne d'être noté. SYMPTÔMES. Ils sont physiologiques ou fonctionnels, et anatomiques. Parmi les premiers, le plus important est le trouble de la vision. Ce trouble consiste essentiellement en un brouillard que les ouvriers éprouvent d'abord seulement en sortant de la forge, et qui se dissipe promptement, aussitôt qu'ils ne sont plus soumis à l'action du feu. Ce brouillard se manifeste encore lorsqu'ils vont au soleil; quelquefois, en même temps que la vue se brouille, les yeux pleurent. Insensiblement, ce brouillard, tout en restant le même pour l'intensité, augmente de durée, et les canonniers ne voient plus très distinctement le matin, après le repos de la nuit ; mais ce brouillard est si peu prononcé, qu'ils peuvent non-seulement travailler sans lunettes, mais même examiner leur ouvrage et lire, quoique assez peu de temps, sans l'aide de ces auxiliaires. Enfin ce brouillard devient permanent, et en même temps sa teinte s'épaissit, et l'ouvrier ne peut ni lire, ni rien voir de fin, sans le secours de lunettes; le plus souvent, il ne peut même pas travailler: tel nous paraît être le plus haut degré de cette affection. Heureusement, il ne nous a jamais été donné d'observer de cécité complète.

La presbytie existe ou a existé chez quatre de nos canonniers; elle coïncide avec un degré moyen d'affaiblissement de la vision, car nous ne l'avons constatée ni chez ceux qui

n'ont qu'un éblouissement momentané de la vue, ni chez ceux qui font un usage habituel de lunettes. Nous croyons, du reste, que l'usage de lunettes convexes d'une forte courbure, dont ces hommes se sont en général servis, a beaucoup, sinon totalement, contribué à changer le système d'accommodation des yeux, à supprimer la presbytie, et même à la convertir en myopie, comme l'un d'eux, Pierre Maissiau, nous en fournit un exemple remarquable (voy. p. 87). Aucune douleur n'accompagne cet affaiblissement de la vue. Un seul canonnier, ayant d'ailleurs la vue très peu, fatiguée, s'est plaint de céphalalgie sus-orbitaire ; mais cette douleur, en supposant qu'elle ne soit pas rhumatismale, nous paraît bien plutôt due à l'inflammation oculaire dont il a été atteint pendant un an. Symptômes anatomiques. — Les paupières, la conjonctive, la cornée, l'iris, n'éprouvent point d'altération par l'action du calorique rayonnant. Les lésions que nous avons signalées dans ces diverses parties sont trop rares et trop temporaires pour pouvoir être attribuées à l'action exclusive du feu.

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L'état du fond de l'œil mérite une extrême attention. La pupille, avons-nous dit, est habituellement contractée chez les vieux canonniers; mais sa forme circulaire est parfaitement conservée : on n'aperçoit pas la plus petite déformation; il n'existe pas non plus d'adhérence. Elle est susceptible de se dilater non-seulement sous l'influence de la belladone, mais encore elle se dilate un peu lorsque l'ouvrier a été quelque temps sans travailler, et qu'on l'examine le matin et à l'ombre. Cet état nous paraît être, si nous pouvons nous exprimer ainsi, l'effet de l'habitude; car, en face d'un feu intense, la pupille doit se contracter, et, par l'action continue de la cause, la contraction devient permanente.

Le fond de l'œil est terne, offre l'aspect d'une pellicule d'oignon, ou même une couleur blanchâtre, ou d'un blanc nacré. Chez les canonniers qui ont la vue la plus fatiguée, cette couleur est uniforme dans un même œil, mais elle peut être

plus prononcée dans l'un que dans l'autre. D'ailleurs le degré d'affaiblissement de la vision est en rapport avec l'intensité de la coloration des membranes. A un degré avancé, les ouvriers paraissent atteints d'une véritable cataracte.

Mode d'exploration des yeux. On sait qu'en présentant une bougie allumée un peu en avant et en dehors de l'axe optique d'un œil sain, on voit se produire trois images inéga lement brillantes et éloignées, dont la moyenne, sous le rapport de l'éclat et de la position, est renversée, les deux autres étant droites. C'est à Purkinje que revient l'honneur d'avoir, le premier, appelé l'attention des praticiens sur ce phénomène, et d'en avoir fixé la valeur en séméiologie oculaire. Les recherches de Sanson sur ce sujet sont de date plus récente. Quoi qu'il en soit, la constatation de ce phénomène était d'une haute valeur pour nous; et, dès le début de nos études hygiéniques, nous avons songé à utiliser ce mode d'exploration, pensant qu'il pouvait nous rendre d'immenses services pour arriver à localiser, aussi exactement que possible, les lésions oculaires qu'il nous était donné d'observer. Nous ne manquons jamais de nous servir d'un écran noir; sans son aide on voit très mal les deux images pâles. Or voici ce que nous avons observé un grand nombre de fois : Chez tous les individus qui ont la vue saine, on voit très bien et très facilement 'les trois images, la grande qui est aussi la plus brillante en avant, les deux pâles en arrière; celles-ci, dont la nuance et l'intensité nous paraissent sensiblement égales, sont placées derrière la grande et en triangle, c'est-à-dire qu'elles sont de front l'une à côté de l'autre, et non l'une en avant de l'autre. L'une d'elles va toujours en sens inverse de la grande lumière. Si celle-ci marche vers le grand angle de l'œil, l'autre se dirige vers l'angle externe; si la grande image s'élève, l'autre s'abaisse, et vice versa.

D'après M. Guérard, l'image droite la plus éclatante est due à la réflexion de la lumière sur la face antérieure de la cor

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