Il y a-t-il nécessité d'interdire, dans l'intérêt de l'hygiène у publique, la coloration des vins par des substances étrangères à la matière colorante contenue dans la pellicule du raisin ? Cette question, dont la solution intéresse au plus haut degré la . santé publique, nous a paru mériter d'être soumise à un examen approfondi. Les opérations, que l'on fait subir aux vins dans le but de les dénaturer, de faire passer un vin pour un autre, de colorer un vin blanc pour le vendre comme vin rouge, sont si nombreuses, qu'il faudrait un volume pour dire tout ce que les fraudeurs ont ingénié, inventé, perfectionné : tantôt c'est l'alcool qui est mis dans des vins pour les surviner avant de les entrer dans Paris, alcool qui viendra en aide au fraudeur qui allongera d'eau ce vin surviné de manière à le dédoubler ; tantôt c'est l'acide tartrique qui est ajouté à l'eau pour donner au vin surviné dédoublé par l'eau une saveur acide caractérisée par le mot gratter (1). 5 (1) Si l'on consultait les droguistes de Paris, on pourrait savoir combien ils vendent d'acide tartrique aux marcbands de vin. L'un d'eux, qui Nous ne voulons pas dans ce moment nous accuper de toutes les fraudes mises en pratique ; nous voulons seulement traiter de la coloration des vins, opération qui est le sujet d'une singulière anomalie. En effet, 1° on condamne le marchand de vin qui ajoute de l'eau à son vin (1), et dans quelques localités on ne condamne pas celui qui prépare la liqueur colorante qui n'a pas d'autre usage ; 2° on condamne à Paris le marchand de vin dans la possession duquel on trouve du vin coloré, on sait jeter ce vin et l'on ne saisit pas la liqueur colorante qui s'y vend au vu et au su de tout le monde, puisque les prospectus sont répandus partout; 3o on tolère en France la fabrication du vin de teinte qui se prépare avec les baies de sureau et d'hieble plus l'alun, et l'on condamne celui qui fera usage de ce produit, qui est annoncé, affiché et pour ainsi dire protégé. Si un marchand de vin préparait dans sa cave un vin de teinte , il serait saisi , jugé et condamné, et le fait est arrivé. La coloration des vins doit-elle être tolérée? Nous sommes pour la négative. Si du vin est blanc, il doit être vendu pour du vin blanc ou additionné de vin rouge très coloré ; mais jamais du vin blanc ne doit être coloré avec des matières étran 5 n'a pas voulu me donner de renseignements complets, m'a dit qu'il vendait des quantités considérables de cet acide, destinées à entrer dans le travail des vins. (1) Il est bon de rappeler ici qu'un marchand de vin qui avait mis de l'eau dans son vin , opération pour laquelle il fut condamné, nous avait apporté pour sa défense un dire dans lequel il établissait, « que s'il avait » ajouté de l'eau à son vin, il l'avait fait dans un but d'intérêt public, et » en suivant l'exemple d'Amphyon III, roi d'Athènes, qui, voulant éviter » l'ivresse, avait eu l'idée, el avait ordonné, de mêler de l'eau au vin , » méthode qu'il considérait comme tellement heureuse, qu'il fit bâtir » tout à la fois un autel à Bacchus, dieu du vin, et un temple aux nymphes » qui représentent les fontaines, voulant célébrer l'alliance de ces deux » liquides. » On conçoit qu'un pareil dire ne pouvait être admis, et que je dus la considérer comme une mauvaise plaisanterie, 7 gères au raisin (1); si l'on remonte à une certaine époque, on voit que la coloration des vins était défendue, et que des mesures avaient été prises par l'administration pour empêcher cette coloration. Le vin blanc a été coloré par diverses matières. Ainsi, on l'a coloré avec les baies d'hieble, les mûres, le bois d'Inde, les bois de Fernambouc, les betteraves, le tournesol en drapeaux, les baies de troëne, le phytolacca, le coquelicot, les baies de myrtille. Les recherches que nous avons faites font remonter l'emploi du bois d'Inde pour la coloration des vins à l'année 1696, qui fut très froide, de telle sorte que la maturité fut incomplète et qu'on procéda non-seulement à la coloration des vins par des matières étrangères, mais encore à leur désacidification par la litharge. C'est par suite des falsifications faites en 1696 que furent publiées les deux sentences de police qui suivent: Sentence de police du 27 septembre 1697, qui condamne à l'amende pour avoir falsifié des vins, sentence publiée et affichée le 2 octobre de la même année. Sur le rapport qui nous a été fait en l'audience de police par maître Nicolas Paley, conseiller du roi, commissaire enquêteur et examinateur au Châtelet de Paris, ancien préposé pour la police au quartier des Halles, que Louis Dennequin, maître tapissier, ayant acheté du vin de Jean Nicolle, vigneron, demeurant à Argenteuil ; il s'y est trouvé de la litharge, ce qui a causé des coliques très vives et très douloureuses, tant audit Dennequin, sa femme qu'à leurs enfants, garçons et domestiques, qui en ont été tous malades jusqu'à l'extrémité; que le sieur Billieux, marchand de fer, ayant aussi acheté du vin d'Étienne Dono, dit l'Hermite, vigneron, demeurant à Saint-Leu-Taverny, on a reconnu qu'il était falsifié par un semblable mélange de litharge et d'autres drogues, dont sa femme et ses deux enfants ont été dangereusement malades; de quoi lui, commissaire, nous ayant informé, nous aurions ordonné que le sieur Boudin, doyen, docteur et régent de la Faculté de médecine de Paris, feroit l'épreuve de l'un et l'autre vin, ce qui a été exécuté; en sorte qu'il paroît, par son certificat du premier de ce mois, qu'il y avoit en effet (1) Et pourquoi ne proposerait on pas des solutions concentrées qui ne contiendraient que les substances qui proviennent du raisin ? dans ce vin un mélange de cette drogue appelée litharge, très préjudiciable à la santé, capable de donner et provoquer des coliques très dangereuses ; pourquoi lui, commissaire, a fait assigner pardevant nous à ce jourd'hui lesdits Nicolle et Dono dit l'Hermite, pour répondre à son rapport, suivant l'exploit de Gabriel de Doux, huissier à cheval et de police en cette cour, en date du sept des présents mois et an ; ouï, ledit commissaire en son rapport, lesdits Nicollo et Dono, dit l'Hermite, en leurs défenses, et les gens du roy en leurs conclusions; vu le certificat dudit sieur Boudin; nous ordonnons que les règlements de police seront exécutés, selon leur forme et teneur; et pour la contravention commise par ledit Nicolle, en mêlant de la litharge dans le vin par lui vendu audit Dennequin, nous l'avons condamné en trente livres d'amende envers le roi ; lui faisons très expresses inbibitions et défenses , de récidiver sous plus grande peine ; et à tous marchands de vin, vignerons et autres, vendant en gros et en détail, ou en laissant pour leurs provisions dans l'étendue de la ville, prévôté et vicomté de Paris , de mettre dans leurs vins de la litharge, bois des Indes, raisins de bois, colle de poisson, et autres drogues et mixtions capables de nuire à la santé de ceux qui en pourroient boire ; le tout à peine de cinq cents livres d'amende et de punition corporelle. A l'égard dudit Dono, dit l'Hermite, après qu'il a soutenu et mis en fait que le vin qu'il a vendu audit Billeux n'est point de son crû, qu'il l'a pris dans le cellier d'un autre habitant du même lieu de Saint-Leu-Taverny; ordonnons qu'à sa diligence il sera tenu de le mettre en cause, et de le faire comparoir, à la huitaine, à notre audience du matin, sinon sera fait droit ; et afin que personne n'en prétende cause d'ignorance, sera la présente sentence lue, publiée et affichée tant en cette ville , dans lesdites paroisses d'Argenteuil et Saint-Leu-Taverny, que dans les autres bourgs et villages de ladite ville, prévôté et vicomté où il y a vignobles, enjoint aux curés et vicaires de lire et publier aux prônes de leurs grandes messes , par trois différents jours, notre présente sentence, qui sera exécutée nonobstant et sans préjudice de l'appel. Ce fut fait et donné par messire Marc-René de Voyer de Paulmy d'Argenson, chevalier, conseiller du roy en ses conseils, maitre des requêtes ordinaires de son hôtel et lieutenant-général de police de la ville, prévôté et vicomté de Paris, le vendredi vingt-septième septembre mil six cent quatre-vingt-dix-sept. Signé De VoYER D'Argenson. CAILLET, greffier. Sentence de police, 4 février 1701, qui impose une amende à des par ticuliers qui avaient falsifié leur vin pour en avoir le débit, publiée et affichée le 12 du même mois. Sur le rapport, à nous fait en l'audience de la grande police, par |